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Elza Soares, la « Femme de la Fin du Monde » en exclusivité !

Approcher même virtuellement la « Femme de la Fin du Monde » est un sacré privilège même s’il est un peu intimidant tant elle est rare en interview et nimbée de sa légende. La sortie internationale de son dernier album A Mulher do Fim do Mundo, dont elle est si fière, incita pourtant Elza Soares à accepter notre demande. L’interview a eu lieu il y a un an pour le magazine Kalakuta, la seule qu’elle accorda à la presse française, une vraie exclusivité donc ! Nous profitons du début de sa tournée mondiale pour la publier dans son intégralité. Hélas, cette tournée ne compte aucune date française !

Sorti en 2015 au Brésil et un an plus tard à l’international, A Mulher do Fim do Mundo confirmait qu’Elza Soares restait une éternelle avant-gardiste en se faisant la muse et l’interprète de Douglas Germano, Kiko Dinucci, Romulo Fróes, Guilherme Kastrup ou Rodrigo Campos, soit quelques uns des musiciens les plus inspirés du moment, qui avaient composé sur  mesure pour elle le répertoire de l’album.

Après quelques reports et difficultés à trouver une date et un moment, c’est une bonne surprise de découvrir sur notre écran une Elza souriante et avenante. Pas du tout hautaine ou dans une posture de diva. Par contre, ce fut impossible de lui tirer le moindre commentaire politique. Alors même que Dilma Rousseff venait d’être destituée quelques semaines auparavant et le pays sous le choc de ce coup d’Etat institutionnel, alors même qu’Elza bombarde pourtant sa page Facebook des « Fora Temer » et autres critiques virulentes des putschistes ! Malgré plusieurs relances, rien n’y fit, elle ne voulait pas parler de politique à la presse internationale, elle voulait dire qu’elle était très fière de son nouveau disque, le premier de sa longue carrière exclusivement composé de morceaux inédits.

OC (pour Kalakuta/Afro-Sambas.fr) : Bonjour Elza, c’est un grand honneur pour nous de pouvoir te poser quelques questions. D’abord, félicitations pour ce disque merveilleux. Comment a-t-il été conçu et réalisé ?

Elza Soares :  On a réalisé cet album avec beaucoup de soin. J’ai été invitée à participer à ce projet par Guilherme Kastrup, qui est batteur. J’ai accepté et ils avaient déjà écrit une cinquantaine de chansons parmi lesquelles nous avons choisi celles qui allaient être sur l’album. Ce ne sont que des chansons inédites alors que je n’avais encore jamais enregistré un disque uniquement composé de morceaux inédits. Ce fut un grand plaisir pour moi de faire ce disque, un moment merveilleux.

OC : Comment Kiko Dinucci, Rodrigo Campos, Romulo Froes et les autres ont-ils composé ? As-tu été la muse de leur inspiration ou avez-vous discutez ensemble au préalable pour que tu leur indiques certains thèmes à traiter dans les chansons ?

E. S. : J’ai été leur muse et ils ont composé pour moi, pour que j’enregistre ces chansons. J’ai eu le plaisir qu’ils m’aient choisie et je leur en suis très reconnaissante. Ils ont composé chacun, Rodrigo Campos, Kiko Dinucci, Douglas Germano et quand elles étaient prêtes, ils m’ont appelé pour que je les écoute. Et pour que je choisisse celles qui étaient les meilleures pour que je chante. Si on devait enregistrer un autre disque, il y a déjà des chansons prêtes et inédites.

OC : Alors, avec toutes ces chansons déjà prêtes, est-ce que vous pensez déjà à faire un autre album ensemble ?

E. S. : Non, pour l’instant, on ne pense à rien d’autre qu’à ce disque qui est un vrai plaisir. Je m’y dédie exclusivement. Il a déjà été récompensé, le show aussi. Je n’ai pas la tête à un autre projet. Il faut aller au bout de celui-ci. On doit voyager pour faire connaître cet album partout dans le monde. Ce disque est encore tout nouveau… C’est un projet tellement beau, si spécial.

OC : Connaissais-tu déjà leur travail, leurs projets avant de les rencontrer sur scène il y a quelques années pour un concert d’hommage à Itamar Assumpção ?

E. S. : Oui, on s’est rencontré à l’occasion de ce spectacle et de là a surgi l’idée de faire un disque mais nous n’avions pas encore d’idée précise jusqu’à ce que surgisse le projet de faire un album de chansons inédites.

OC : Peut-on dire que, parmi les thèmes du disque, l’hommage aux femmes est le plus important ?

E. S. : Oui, tout à fait. Mais ce n’est pas seulement pour les femmes, c’est aussi beaucoup beaucoup beaucoup pour les gays. Il y a une chanson qui s’appelle « Benedita » qui parle des gays, des drogues.

OC : En effet, tu étais déjà la voix des femmes mais maintenant tu es aussi être celle des gays, des trans. As-tu l’impression que les préjugés homophobes ont tendance à être plus forts en ce moment au Brésil ?

E. S. : Homophobie totale ! « Benedita » est unes des choses merveilleuses de ce disque, j’adore cette chanson.

OC : Sur les violences conjugales, « Maria de Vila Matilde », la chanson de Douglas Germano est très forte

E. S. : Oui, sur la violence contre les femmes, les paroles de « Maria de Vila Matilde » sont très fortes. Aujourd’hui, ce sont des paroles qu’on peut chanter, qui s’adressent aux femmes car maintenant, elles peuvent dénoncer. Elles peuvent appeler le 1-8-0 (un  numéro d’appel d’urgence, ndla). Maintenant, c’est plus facile pour la femme de dénoncer la violence, il ne faut plus qu’elle souffre. Avant, on ne pouvait pas faire cette dénonciation. Pas seulement la femme mais aussi les gays.

OC : Il y a une chanson qui ne figure pas sur ce disque mais que tu as enregistré il y a une dizaine d’années et que tu chantes toujours sur scène, c’est « A Carne » de Seu Jorge, est-ce parce que ses paroles (« la viande la moins chère du marché est la viande noire« ) restent toujours aussi actuelles ?

E. S. : Oui, très actuelles, très actuelles. C’est une musique très forte, oui. Seu Jorge et Marcelo Yuka ont fait fait une chanson mer-veil-leu-se. C’est une chanson que je ne peux pas m’empêcher de chanter en concert.

OC : À ton âge, comment vois-tu la transformation du Brésil tout au long de ta vie ?

E. S. : Regarde, je vois d’abord ma transformation tout au long de ma vie. J’ai très peur et je ne mélange pas ma transformation avec d’autres transformations de mon pays. Je vais faire de ma vie ma propre transformation. Je préfère faire la transformation de ma propre vie.

OC : Mais la situation politique, l’impeachment de la Présidente Dilma Rousseff souvent décrit comme un golpe, est-ce que ça te rappelle le passé ?

E. S. : C’est sûr. On se souvient d’un passé difficile mais je préfère oublier. Et je préfère ne pas trop parler de ça, de ne pas mélanger la politique à ma musique. C’est difficile d’en parler parce que la situation ne le permet pas. On ne sait pas encore ce qui va se passer. Il faut attendre pour voir.

OC : Est-ce que cette Fim do Mundo ressemble à la Planeta Fome, la Planète Faim, dont tu disais venir à Ary Barroso quand tu avais une douzaine d’années ?

E. S. : Oui, je trouve qu’il y a une ressemblance parce que la fin du monde, c’est la fin qui ensuite va se modifier. La Mulher da Fim do Mundo n’arrive jamais à la fin, le monde est là. Et la femme de la fin du monde va se transformer dans des choses qui se finissent. Chaque chose qui se finit est une transformation. Elle va jusqu’aux limites de la transformation.

OC : Tu as déjà dit que cette Fim do Mundo est l’éternité, en rappelant que tu étais spirite…

E. S. : Très. Je le suis et j’y crois (rires). Je crois aux transformations. Hier, tu étais un enfant et aujourd’hui, tu es un homme. Hier, j’étais une petite fille et aujourd’hui je suis la femme de la fin du monde… On s’adapte petit à petit aux transformations…

OC : Donc tu es spirite et mais tu dis t’identifier à la figure de Iansã, une orixa africaine. Il y a du syncrétisme dans ton spiritisme ?

E. S. : Beaucoup, oui. Quand je parle de spiritisme, je veux parler de spiritisme d’une manière plus générale. Il n’y s’agit pas de mon spiritisme brésilien ou non plus de spiritisme africain, non. C’est le spiritisme d’une manière générale. Il existe. Comme le catholicisme et le bouddhisme et d’autres religions, le spiritisme fait partie également des grandes conquêtes de celui qui respecte et de celui qui aime.

OC : Ressens-tu actuellement au Brésil une montée de l’intolérance religieuse à l’égard des religions afro-brésiliennes, en particulier de la part des églises évangéliques ?

E. S. : Bien sûr que je la perçois, je perçois vraiment beaucoup ces persécutions. Il ne devrait pas y avoir ce type de bouleversements. Chacun est là avec ses croyances, chacun existe sur son piédestal. Mais moi, je ne pense que je ne dois dire du mal des églises ni de personne. Je parle de ma religion et ma religion respecte l’autre.

OC : Tu as toujours été une vanguardista, une avant-gardiste qui influence autres artistes à travers les générations. Même si tu es une vedette très populaires qui a connu de nombreux succès publics, tu enregistres aujourd’hui avec ces jeunes musiciens qui sont plus marginaux et dans une démarche radicale… 

E. S.  : Ils sont merveilleux ! C’est ça la femme de la fin du monde, une transformation, une transformation musicale. Je peux chanter du jazz, je peux chanter la femme de la fin du monde. Je peux chanter « A Carne » de Seu Jorge. Je peux chanter ce que j’aime et ce que je sais qui va plaire aux autres. J’aime ce projet.

OC : Tu viens aussi d’enregistrer un album consacré au répertoire de Lupicino Rodrigues ?

E. S. : Parce que je voulais faire un disque différent. Pour moi, je ne peux rester toujours « au même endroit », sans changer. J’avais besoin de quelque chose de plus fort, plus agressif, de quelque chose qui, quand on voit les paroles, tu fais comprendre tout de suite que ce sont des choses merveilleuses. J’adore l’œuvre de Lupicinio et ce projet est aussi quelque chose que j’ai choisi de faire mais, vraiment, ce Mulher do Fim do Mundo me plaît beaucoup, comme il plaît à tous ceux qui l’écoutent. Tout le monde en fait l’éloge, que ce soit à propos des paroles, des arrangements, des musiciens.

OC : Ces derniers mois, on a entendu Romulo Fróes chanter Nelson Cavaquinho et Teresa Cristina chanter Cartola, ces sambistes de légende sont toujours vivants à travers leur répertoire ?

E. S. : Chacun choisit ce qui lui fait plaisir mais moi, j’ai voulu faire un disque inédit. Dans mon cas, j’ouvre des portes pour tous On peut penser que je suis folle. J’aime beaucoup mon travail (en français dans le texte, ndlr) !

OC : C’est un peu une cure de jouvence pour toi d’enregistrer avec cette bande de jeunes musiciens, non ? On vient aussi de découvrir le nouvel album électrique de João Donato avec les musiciens de Bixiga 70, qui ont également participé à ton album, et on sent que Donato s’amuse beaucoup avec eux et prend beaucoup de plaisir.

E. S. : Bixiga 70 ? Merveilleux, mer-veil-leux !

OC : Je t’ai dit que c’est pour la magazine français Kalakuta que nous faisions cette interview mais sais-tu ce que signifie le mot kalakuta ?

E. S. : Non.

OC : C’était le nom de la maison de Fela Kuti à Lagos, qu’il avait déclaré république indépendante jusqu’à ce que la police y fasse une descente. Alors, ce titre est un hommage à Fela et à la recherche de liberté dans la diversité musicale.

E. S. : Alors moi aussi, je suis une Kalakuta ! Je chante aussi avec beaucoup de liberté, n’est-ce pas ? Sinon jespère vraiment pouvoir venir en France et dans le Monde pour présenter ce disque sur scène !

Merci Elza ! La tournée mondiale commençait hier, le 31 mai à Barcelone, mais il n’y a malheureusement aucune date française de programmée. Quel dommage…

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