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Confessions d’un Alchimiste : Jorge Ben se raconte (1/2)

Pour les soixante-dix ans de Jorge Ben, il fallait trouver quelque chose d’exceptionnel pour lui rendre hommage. Nous avons donc traduit un entretien-fleuve qu’il a accordé en 2009 à Pedro Alexandre Sanches. C’est un document exceptionnel car Jorge Ben est en général aussi discret que sa musique est exhubérante. A la différence de Caetano Veloso qui a un avis sur tout, Jorge Ben n’est guère bavard. Quand il se prête à l’exercice, c’est pour parler de musique, uniquement, et encore ses réponses sont souvent laconiques, pour ne pas dire mono-syllabiques.

On peut s’étonner que le jour où Babulina se laisse aller à de telles confessions, ce soit pour la Revista Trip, magazine masculin branché qui combine pages de mode, actus culturelles et photos de jeunes femmes dénudées. A moins que ça ne soit justement ça qui lui ait plu ? Pour réaliser cette interview inespérée, le journaliste Pedro Alexandre Sanches a su mettre Jorge Ben dans les bonnes dispositions. Ils ont eu cette longue conversation pendant un vol entre Rio et São Paulo. Au moins ne pouvait-il pas s’échapper, encore fallait-il qu’il parle.

Ils se retrouvèrent ensuite après le concert que Ben Jor venait de donner à São Paulo. Puis, Jorge Ben a invité le journaliste à découvrir son « jardin secret », le Corujão da Poesia : des soirées dédiées à la poésie et la littérature qui se tiennent tous les mardis dans une librairie de Leblon, une manifestation dont il est le dévoué et assidu parrain et volontiers l’animateur. Une facette qui n’étonnera qu’à moitié quand on connaît le passionné de symbolisme derrière le musicien festif.

Jorge Ben gravata florida

Quand Jorge Ben se livre, on retrouve l’univers si étrange de ses chansons, où l’hermétique côtoie le prosaïque, l’alchimie le football. Son originalité n’en devient que plus évidente : lui seul aurait pu écrire ces paroles-là… Mon pote Cyril à Niteroi, sollicité pour m’aider à traduire les expressions familières du Ben, réclamait une mise en garde : « bon, il faut prevenir le lecteur de base que Ben a quelques neurones grillés, et que donc ce qu’il dit n’a parfois ni queue ni tête ». Je le trouve bien sévère mais force est de constater que ce Jorge qui ne boit ni ne fume semble bien haut perché. « Voa, Jorge voa » !

Sans plus attendre, voici la première partie de cet entretien. La suite, demain…

Revista Trip : Vous lisez de la poésie ?

Jorge Ben : Oui, j’en lis. Le mois dernier, nous avons commémoré les 102 ans de Jorge Luis Borges, le poète argentin. Nous avons fait une heure rien qu’avec Borges. Je prenais un livre et tout le monde lisait Borges, c’était merveilleux. Pour rester dans les Jorges, nous avons déjà organisé des séances consacrées à Jorge de Lima, un grand poète brésilien, originaire de l’Alagoas, médecin qui s’est pris de passion pour Rio de Janeiro.

Revista Trip : Vous avez toujours aimé lire ? Dans les années soixante-dix, déjà, vous citiez Dostoïevski dans vos chansons.

Jorge Ben : Toujours, toujours. J’avais gagné un livre de sonnets de Shakespeare qui sont la plus belle chose qui soit, mon gars. Le mec était terrible, génial. Ses sonnets sont tous amoureux, ils ont leur côté sarcastique, mais c’est que de l’amour. Il devait avoir une muse merveilleuse. J’ai lu les biographies de mes muses : les poètes brésiliens. Oswald de Andrade, putain ! Ses vers et sonnets, tous encanaillés. Il était déjà moderne, il était en avance. Dans mon adolescence, j’avais déjà lu des choses difficiles. Je lisais et j’apprenais par cœur des textes en latin. Je connaissais Saint Thomas d’Aquin, sa Somme Théologique, la Summa Theologiae, des trucs que j’apprenais au séminaire.

Revista Trip : Vous avez été séminariste ?

Jorge Ben : J’ai fait deux ans de séminaire, ici à Rio. J’ai appris le latin à cause de Saint Thomas d’Aquin (qu’il prononce Aqüino). Il a écrit des textes d’une grande beauté, comme la Somme Théologique… Savoir qu’un saint comme lui était aussi un alchimiste célèbre… C’est trop, pour que tu comprennes, Saint Thomas d’Aquin écrivait des choses simples, belles et puissantes (récitant) : « le Monde est une succession de niveaux, depuis la matière inanimée jusqu’à la suprême béatitude de l’être divin, qui est Dieu ». Il a dit que la première loi naturelle est l’instinct de survie – tout le monde veut conserver la vie -, depuis la génération, qui consiste à avoir des fils et les éduquer, puis ensuite le désir de vérité. Le seul pays qui ait su bien exploiter la théologie de saint Thomas d’Aquin, c’est l’Allemagne. La constitution allemande est complètement aquinienne, complètement. Les autres l’ont imité mais l’Allemagne…

Revista Trip : C’est facile à trouver ? Saint Thomas d’Aquin n’est pas très populaire, non ?

Jorge Ben : Non, il ne l’est pas. Une fois en Italie, sa terre natale, j’ai demandé à un libraire et il m’a répondu : « Saint Thomas d’Aquin est un saint de Série B » (rires). Ce n’est pas un saint de Série A. La Série A, c’est Saint-Pierre, Saint-Paul…

Revista Trip : Saint Jorge…

Jorge Ben : Saint-Georges aussi est Série B. C’est ici, au Brésil, qu’il est Série A.

Revista Trip : Pour commencer, Jorge, personne ne comprend vraiment où vous vivez. Un peu aux Etats-Unis et un peu à Rio ?

Jorge Ben : J’habite un peu ici, un peu à Rio et un peu à São Paulo. Auparavant, je passais plus de temps aux Etats-Unis, à cause de l’école et de l’université de mes fils, Gabriel et Tomaso. Je suis resté aux Etats-Unis parce que, quand les enfants sont mineurs, il faut rester près d’eux. Le chef de famille a besoin d’être là, principalement pour régler les factures (rires) et connaître les notes. Après, à l’université, ça s’est arrangé mais pendant le lycée, il fallait passer plus de temps là-bas qu’ici. J’habitais dans l’intérieur de la Floride, dans une ville très rurale (bien caipira, dit-il), Bradenton, une ville où vous trouviez encore des types comme on n’en voyait plus que dans les films, en salopette et chapeau de cowboy. Cette petite ville possédait le plus grand lycée pour élèves étrangers.

Revista Trip : Vous ne trouviez pas ça étonnant ? Que le type qui a composé « País Tropical » vive dans un endroit pareil ?

Jorge Ben : Non, parce que je n’étais qu’à quatre heures de voiture de Miami. Mes fils étaient internes, l’école finissait en fin de semaine et ils venaient à Miami. Aujourd’hui, Gabriel se partage entre la technologie musicale et l’hôtellerie. Il travaille dans l’hôtellerie et la musique électronique comme DJ.

Revista Trip : Eh, après tout, c’est amusant, c’est le fils de Jorge Ben…

Jorge Ben : Et Tomaso a suivi une formation en business administration. Il travaille pour la bourse, à Wall Street. Il manque encore deux années de fac à Gabriel. Maintenant, c’est ma femme qui reste là-bas, je ne viens que quand il y a des décisions à prendre.

Revista Trip : Vous donnez beaucoup de concerts là-bas ?

Jorge Ben : Il y a beaucoup de travail là-bas mais mon agenda est plus ici. Junior (Airton Valadão Jr., frère du chanteur Nasi) est un très bon imprésario. Si tu lui dis : « Tiens, j’ai envie de jouer de lundi à samedi », il t’arrangera ça.

Revista Trip : Et vous aimez ça, de faire des concerts tous les soirs du lundi au samedi ?

Jorge Ben : Non, non. Sans fausse modestie, notre concert, c’est un vrai concert et en faire deux le même jour, ça ne marcherait pas.

Revista Trip : Vos enfants sont discrets, je n’ai jamais vu de photos d’eux

Jorge Ben : Il y a peu de photos, ils n’aiment pas trop ça.

Revista Trip : Vous-même, vous êtes très discret. Vous ne parlez que de musique et encore, même ça, c’est rare.

Jorge Ben : Je parle de mon travail. Aujourd’hui, je parle de livres et de poésie parce que j’aime ça.

Revista Trip : Beaucoup de gens en seraient surpris parce votre musique est très populaire, elle n’est pas considérée comme « intellectuelle » ?

Jorge Ben : Parfois, je me censure. Parce que ce que je fais ne peut pas être trop intellectuel, il faut mélanger. Ma musique est urbaine et périphérique. Dostoievski a été le premier grand auteur que j’ai lu, après Saint Thomas d’Aquin. C’était Les Frères Karamazov. C’est un poète presque contemporain. Le Joueur aussi, c’est merveilleux.

Revista Trip : Et la chanson « Taj Mahal », en 1972, est-elle née de vos lectures ?

Jorge Ben : Ou, tout à fait, de mes lectures. L’histoire de Taj Mahal est très belle. Elle se passe dans la ville d’Agra. Le prince Xá-Jehan était persan, à une époque où la région était sous la domination de la Perse. Il s’est marié avec Nunts Mahal. Il devait beaucoup l’aimer parce qu’ils ont eu quatorze enfants et qu’il a recruté les meilleurs artisans et ouvriers turcs et italiens pour faire édifier ce palace merveilleux de pierres précieuses, le Taj Mahal.

Revista Trip :Vous l’avez déjà visité ?

Jorge Ben : Non. J’ai su que le palais s’était modernisé, qu’avant il n’y avait même pas de toilettes pour les touristes mais que, maintenant, ils en ont installé. Il faudrait que j’y aille. J’ai failli le faire, à deux reprises. Une fois, j’étais à Londres et on devait ensuite aller jouer en Tunisie, en France et en Italie et je me suis dit : « je vais aller à Agra ». Mais il fallait faire trois vaccins et j’ai pensé que les vaccins allaient me rendre malade et ça m’aurait empêché de finir la tournée. Et, depuis, j’attends toujours.

Jorge Ben Carnaval

Revista Trip : Vous parlez des Touaregs dans une chanson, et je me suis toujours demandé si dans votre sang ne coulait pas quelque chose d’oriental…

Jorge Ben : Non, mais j’aime bien cette histoire. Il y a une spiritualité que l’Inde entière possède. Ma mère est éthiopienne. Du côté de mon père, c’est un mélange européen. Toute sa famille est blanche. Ma grand-mère était blanche, on disait qu’elle était autrichienne. Mon père était brun, né au Brésil, déjà mélangé. Tout le reste de la famille est clair et moi, je suis métis parce qu’il s’est marié avec ma mère, l’Afrique. Mais ce n’est pas vraiment l’Afrique là-bas, l’Ethiopie, c’est encore à part. C’est une chose incroyable que je voyais, c’est qu’en Ethiopie, les gens se sentent plus européens qu’africains.

Revista Trip : Vous pouvez nous raconter quelque chose sur votre enfance ?

Jorge Ben : Ah, mes parents étaient merveilleux. Mon père est né à Rio. Ma mère est née à la limite de Rio et de São Paulo, dans une zone rurale, je ne sais pas si c’était Queluz. Mon grand-père était agriculteur. On racontait qu’il était venu ici sans le vouloir, qu’il avait embarqué sur un navire qui a traversé la Méditerrannée puis l’Atlantique et qu’il s’est arrêté au Brésil. C’est pour ça que j’avais écrit dans “Crioula” (1969) : « por um descuido geográfico parou no Brasil num dia de Carnaval ».

Revista Trip : D’où venait le bateau ?

Jorge Ben : D’Ethiopie. Qui était alors en train d’être envahie.

Revista Trip : Que faisaient vos parents ?

Jorge Ben : De mon père, j’ai appris la malandragem et le côté philosophe. Mon père était un grand docker. Il avait un camion Ford et sa grande fierté était de nous amener le dimanche au football ou en pique-nique. Il travaillait comme débardeur et quand il a pris sa retraite, il amené un vie de bon vivant (en français dans le texte) de la Zona Sul, il habitait Copacabana et allait à la plage pour pêcher.

Revista Trip : Votre famille n’a jamais été pauvre ?

Jorge Ben : Pauvre, non. J’avais toujours des vêtements corrects. Ces presque trois ans que j’ai passé au séminaire, c’est grâce à une bourse que mon père avait réussi à m’obtenir. J’étais sorti de la primaire, j’ai fait le ginásio et j’ai reçu cette bourse. C’est ce qui pouvait m’arriver de mieux.

Revista Trip : Et vous aimiez ça ? Le séminaire passe pour être très rigoureux.

Jorge Ben : Ce n’était que rigueur, mais ça avait une aura. Quand tu revenais vers les gens, tu le sentais. Tout te semblait être en pagaille. Tandis que là-bas, tout était calme, on parlait à voix basse, sans gros mots, on obéissait aux ordres. Tu avais accès aux livres pour prier, pour chanter dans le chœur grégorien, ce genre de belles choses. Je priais la messe en latin. J’ai été acolyte aussi.

Revista Trip : Etes-vous religieux ?

Jorge Ben : Je suis religieux. Je suis chrétien, catholique et carioca. C’est seulement que je ne suis pas romain parce que je suis né à Rio de Janeiro.

Revista Trip : Mais vous êtes éclectique également. Ogum apparaît souvent dans vos chansons.

Jorge Ben : Ca fait partie de la philosophie, hein ? L’église, tu sais, était une chose que les Noirs africains ont dû réinventer. A chaque orixá, ils ont donné le nom d’un saint, pour pouvoir survivre. C’est la mythologie des orixás, c’est ça la mystique.

Revista Trip : Est-ce vrai que vous vouliez devenir footballeur plutôt que musicien ?

Jorge Ben : J’ai joué au Flamengo dans les équipes de jeunes. Le football, c’était super mais il fallait que je travaille, que j’étudie et que je paie les factures. Là, je ne gagnais rien, ce n’était pas rémunéré. Jusqu’à ce qu’arrive la musique. Mais c’était quelque chose que je ne voulais pas.

Revista Trip : Ah, mon Dieu, que serions-nous devenus !

Jorge Ben : Ca ne plaisait pas à mon père, ni à ma mère. A cette époque, le musicien était considéré comme un marginal. Il n’était pas respecté. Je travaillais un peu comme employé, entre 10h et 16h. Et pendant cette période, j’étais déjà dans l’alchimie.

Revista Trip : Vous l’étudiiez ? En fréquentant des groupes ?

Jorge Ben : En étudiant. Je faisais aussi partie d’un groupe merveilleux d’adeptes de l’alchimie. Ils venaient d’Amérique du Sud et il y avait aussi un Brésilien, de São Paulo. Il était professeur. Ou recteur d’université. Avec un groupe d’adeptes de l’alchimie, il avait vu une transmutation, en 1958.

Revista Trip : De métal en or ?

Jorge Ben : C’est ça. Ils m’ont dit : « c’est un art ». Quand je discutais avec eux, je leur parlais de Saint Thomas d’Aquin… L’Eglise interdit qu’on dise qu’il était alchimiste. Elle l’interdit mais il l’a été. Au XIIIe siècle, le Pape Silvestre a cessé de le persécuter parce que Saint Thomas d’Aquin venait d’une famille richissime. Et il voulait devenir père ou moine. Ses parents l’avait préparé pour qu’il devienne le Comte d’Assise. Et c’est de lui-même qu’il s’est engagé et s’est interné. Ils ont voulu l’en sortir mais il leur a dit : « je veux devenir père, j’aime cet endroit ». En plein XIIIe siècle, il a tout écrit. Et il faisait déjà de l’art avec l’alchimie. Et ces types en 1958 devaient être très forts en alchimie pour être invités à voir cette transmutation. Dès que je repère un orfèvre, je vais avec un ami qui lui aussi étudie l’alchimie pour voir comment on fait l’or. Et on en sort indignés, j’ai déjà raconté ça dans « Luz Polarizada », une chanson de l’album Solta o Pavão (1975, ndla) : « Coloque o seu grisol sobre a luz polarizada.. »

Revista Trip : Je n’ai jamais compris ces paroles ? « Coloque o seu… »

Jorge Ben : …« O seu grisol sobre a luz polarizada ». Le grisol est un flacon de verre incassable. Celui qui forge du faux argent et du faux or ne mérite la sympathie de personne. On était vraiment indignés, toutes ces bijouteries, pfuhh, et tout cet or… était plus du métal que de l’or. Les alchimistes disaient qu’il fallait un or qui ne soit pas falsifiable, c’est l’or dentaire, l’or 14 (14 carats), l’ouro malhado.

Revista Trip : Existe-t-il encore des alchimistes ?

Jorge Ben : J’en connais, en France. En Europe, il en reste encore mais au Brésil, non, il n’y en a pas.

Revista Trip : Avez-vous déjà été alchimiste ?

Jorge Ben : Non, je ne suis jamais parvenu à faire la transmutation.

Revista Trip : Nicolas Flamel et Paracelse (personnages que l’on retrouve sur les chansons de l’album A Tábua de Esmeralda) étaient alchimistes ?

Jorge Ben : Oui, ils l’étaient. Nicolas Flamel, c’est lui qui est ma muse. Lui et sa femme. C’est lui « o namorado da viúva ». Personne ne voulait d’elle – ou plutôt si, elle était désirée mais les hommes avaient peur d’elle parce qu’elle était riche et était déjà trois fois veuve. Flamel vivait au XVe siècle et il est ma muse (chantant ) : « namo-mora-rado da viúva »

tabua de esmeralda

Revista Trip : Et Paracelse est « l’homme de la cravate à fleurs » (titre d’une chanson qui figure sur A Tábua de Esmeralda, « o Homem da Gravata Florida », ndt) ?

Jorge Ben : Oui. Son, histoire est merveilleuse aussi. Sa maison existe encore, en Suisse allemande. J’ai amené Gilberto Gil pour visiter la maison de Nicolas Flamel. Et, aussi incroyable que cela paraisse, dans la maison de Flamel, Gil a vu une chose que j’ai également vue, que seuls nous deux avions vu. Parès, je lui ai demandé : « Gil, tu as vu ce que j’ai vu ? ». Il m’a répondu : « J’ai vu, toi aussi, t’as vu ? ». C’était incroyable.

Revista Trip : Mais qu’est-ce que c’était ?

Jorge Ben : Quelque chose, là, dans la maison de Nicolas Flamel.

Revista Trip : Et vous n’allez pas me dire ce que c’est ?

Jorge Ben : Non, non. Mais on l’a vu.

Revista Trip : C’était sous l’effet de quelque substance ?

Jorge Ben : Non, non. Nous avons vu quelque chose. Nous avons quelque chose mais quelque chose de beau. Une belle chose.

Revista Trip : Bon, revenons à l’histoire de Paracelse…

Jorge Ben : Son père était célèbre. Il était médecin, un de ces médecins qui connaissent le pouvoir des plantes. Et lui, il a hérité ça de son père, toutes la connaissance de cette médecine qui s’appelait l’agriculture céleste.

Revista Trip : Qui est le plus beau nom du monde.

Jorge Ben : Agriculture céleste. La plante est plantée et cueillie en accord avec le soleil, la lune et les époques, à un moment très précis. Avec ces plantes, Paracelse guérissait les gens. Et, à cette époque, imagine-le, un médecin qui guérissait tant de monde ! Les médecins qui avaient étudié dans les grandes facultés commençaient à s’en offusquer. Il a été accusé de sorcellerie, a dû fuir de ville en ville. Une fois, un chanoine, qui était préfet de ville, était en train de mourir. Paracelse fut appelé. En trois jours, le chanoine reprit des couleurs, son sang recommençait à courir dans ses veines, il se remit même à marcher. Comment ? Cela créa un tumulte, ils voulaient le jeter au bûcher pour ça. Et, on le reconnaissait parce qu’il portait un foulard de couleur.

Revista Trip : Ce foulard, c’était la « cravate fleurie » ?

Jorge Ben : C’était la cravate fleurie. Son histoire est vraiment incroyable.

Revista Trip : Il y a des gens qui se disent en vous écoutant : « mais qu’est-ce qu’il nous raconte encore, ce type-là ? »

Jorge Ben : Oui, oui, il y en a. Mais il y a aussi beaucoup d’alchimistes. Ils ne parlent pas beaucoup mais Mozart, par exemple, était un adepte de l’alchimie, il avait un don incroyable depuis ses cinq ans. Il jouait pour les rois, les comtes, les princesses. Il voyageait de Londres à Paris, de paris à l’Italie. Il donnait des concerts et n’en manquait pas un.

Revista Trip : Vous écoutez également de la musique classique ?

Jorge Ben : Oui, j’en écoute. Mozart, j’aime beaucoup. J’ai déjà visité sa maison. J’en écoute pour me détendre. Je suis devenu fan de Puccini depuis que j’ai vu son opéra, Turandot. Quand j’en ai la possibilité, je vais à l’opéra. L’opéra, c’est incroyable : c’est du théâtre, du drame, une intrigue. J’ai vu Aída en Italie, au Termes de Caracala. C’était fantastique, il y avait même un éléphant.

Revista Trip : Ca me rappelle le cirque, vous avez une grande chanson sur le cirque, « O Circo Chegou » (1972)…

Jorge Ben : Le cirque, le cirque. Il a toujours été présent dans ma vie. C’était mon principal loisir et j’aime encore ça aujourd’hui, surtout les clowns. C’est une vraie magie. J’ai déjà fait tous les cirques de Rio, d’Orlando Orfei à Beto Carrero. J’étais à Los Angeles quand j’ai vu le Cirque du Soleil pour la première fois, il y a vingt ans. C’est un cirque sans animaux mais les artistes t’enchantent, les acrobates, les clowns, l’orchestre. Quand je suis à Orlando, j’y vais toujours.

Revista Trip : Tout cette énumération que vous faites dans la chanson « O Circou… », ça n’existe pas, comme la chèvre-cycliste, ça n’existe pas, alors d’où vous viennent ces images ?

Jorge Ben : C’est de l’imagination. Mais il y en a qui existent : le nain géant, la femme à barbe. L’homme-autruche, l’avaleur de sabres, l’homme-fusée…

Revista Trip : Ceux-là existent…

Jorge Ben : L’homme-fusée qui se transforme en éléphant et sort en volant.

Revista Trip : Ca, c’est déjà plus difficile.

Jorge Ben : L’orchestre de grenouilles. La chèvre-cycliste. La girafe-sérénadeuse. Parce que la girafe est muette, elle n’émet aucun son, tu savais ? Le pire et le meilleur de tous est l’homme, le mari de Deise. Il mange des rayons laser. Et elle reçoit tous les applaudissements.

Revista Trip : Mais, dans la chanson, vous ne dîtes pas « laser », sinon, ça ne rimerait pas avec Deise…

Jorge Ben : Non, je dis « leise » (il rit et commence à chanter) : « e agora com vocês a grande cartomante, a internacional Deise / a mulher do homem que come raio leise » (« et maintenant, parmi nous, la grande cartomancienne internationale, Deise / La femme de l’homme qui mange des rayons leise »)…

Revista Trip : Vous avez une chanson plus ancienne, de 1965, qui s’appelle « Deixa o Menino Brincar », dans ces chansons, c’est vous l’enfant, le menino ?

Jorge Ben : Oui, laisse l’enfant s’amuser. Que ce soit les filles ou les garçons, je pense que les enfants ont besoin de s’amuser.

Revista Trip : Les adultes aussi parfois. En faisant ces musiques, même celles des Alquimistas… vous êtes un adulte qui s’amuse.

Jorge Ben : L’adulte qui s’amuse. Sur l’enfance, j’en ai faite une autre, « A História de Jorge » : « Jorge voa/ voa, Jorge, Jorge, Jorge, voa »… J’étais à la fenêtre de mon immeuble, rue Paula Freitas, et j’ai vu la rue vide, à l’aube, avec le jour qui commençait à peine à se lever. Et c’est à ce moment-là que j’ai imaginé un gamin qui sortirait en courant et se mettrait à voler comme un avion. Là je suis resté avec ce truc, hein ! J’avais connu Jorginho qui a toujours fan de moi, qui jouait aussi au football. Et c’est venu comme ça parce que Jorginho disait : « Jorge, je suis ton ami », « Jorge est mon ami » (les paroles disent  » Jorge é meu amigo. Essa é a história de um menino que tinha um amigo que voava e Jorge se chamava”).

Suite de cette interview demain. Pour ceux qui sont impatients et lisent le portugais : « O Homem Patropi », Revista Trip n° 183 (11/2009)

Et encore merci à Cyril.

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