Pernambouc/Portrait

Hommage à Naná Vasconcelos, rythme fait homme

Naná Vasconcelos vient de s’éteindre. D’un cancer du poumon à soixante-et-onze ans. Plus qu’un grand percussionniste, il était le rythme. Non pas un rythme qui se martèle et s’assène mais un rythme qui s’immisce, qui vibre, qui se manifeste dans les moindres gestes, dans tout le corps, un rythme qui s’insinue dans les silences et s’incarne dans les murmures, un rythme qui est la vie même.

Autodidacte et poète du son, Naná Vasconcelos fait également partie de ces rares musiciens à avoir révolutionné l’approche d’un instrument et en avoir révélé des possibilités encore inconnus. Pour lui, ce fut le berimbau. Alors que, dans la capoeira, l’arc monocorde semble réduit, aussi hypnotisante soit-elle, à sa fonctionnalité, donner le toque, Naná a révélé toute sa richesse et exploré la moindre de ses vibrations. Au début des années soixante-dix à Paris, il enregistre son premier album pour Saravah, le label de Pierre Barouh. Le morceau-titre « Africadeus (Concerto par Mãe Bio) » est une longue plage de berimbau solo qui occupe toute une face du disque, un voyage déconcertant, aux frontières de l’abstraction. Il y pose déjà les effets, comme le son du frottement de la corde de métal par la baguette, qu’il utilisera tout au long de sa carrière. Les photos de la pochette nous le montre pieds et torse nus, portraits d’un musicien qui semble ne souffrir aucune entrave pour capter les vibrations chthoniennes…

Nana Vasconcelos Africadeus

Nous n’allons pas ici faire sa nécro, Eric Delhaye dans Télérama l’a déjà très bien fait, ainsi que Francis Marmande dans Le Monde, et les hommages sont nombreux. Nous allons simplement évoquer Naná à travers quelques souvenirs décousus qui le croisent à différentes étapes de sa grande carrière.

Naufragé. De ces années françaises, on garde le souvenir d’un petit rôle dans Les Naufragés de l’Île de la Tortue, tourné en 1974, le grand film barré de Jacques Rozier. Il y apparait en musicien félin sur un bateau, avec son berimbau et ses petits cris. À la fin du film, débarqué avec les autres passagers, il faut voir Naná Vasconcelos expliquer à Petit Nono (Jacques Villeret), en français avec son accent, que Jean-Arthur Bonnaventure (Pierre Richard, à contre emploi) est en prison parce qu’il a volé des bananes ! L’anecdote peut sembler dérisoire au regard de sa carrière de Naná mais il ne s’agit pas de n’importe quel film puisqu’il est l’œuvre du trop rare Jacques Rozier, en outre le plus brasilophile des réalisateurs de la Nouvelle Vague…

Transgresseur. S’il fut une de mes portes d’entrée dans la musique brésilienne, quand il enregistrait à la fin des années quatre-vingt des albums comme Rain Dance et Bush Dance (que je n’avais pas écouté depuis des lustres mais qui ont pris un coup de vieux), Naná Vasconcelos a fait une grande partie de sa carrière à l’étranger, collaborant avec de nombreux jazzmen. De cette époque, je garde surtout le souvenir du trio Codona qu’il formait avec Don Cherry et Collin Walcott et qui a enregistré une belle trilogie sur ECM*. J’ai déjà évoqué cette rencontre en soulignant, amusé, combien ces brillants musiciens en liberté y avait parfois radicalement transgressé l’esthétique du label. La quête de Manfred Eicher est celle d’un son qui soit « le plus beau après le silence » et il s’est fait l’apôtre d’un son clair et froid. Tout l’inverse sur, par exemple, le morceau « Mumakata » où le berimbau de Naná, le doussou ngoni de Don Cherry et la sanza de Collin grésillent à qui mieux mieux !

Maître de Cérémonie. Je ne l’ai vu sur scène qu’à Salvador, en 1999, pendant le festival mondial de percussions, le PERCPAN, dont il était alors, avec Gilberto Gil, le directeur artistique. À cette occasion, il s’y multipliait. Outre son rôle de maître de cérémonie, on le voyait au sein de Techno Suggestion, un trio créé pour l’occasion avec Cyro Baptista et Leon Gruenbaum, ou d’un groupe revisitant les rythmes de son Pernambouc natal… Les deux faces de son travail, une bonne façon de rappeler qu’il n’a jamais cesser de revenir aux musiques de sa région alors même qu’il continuait d’explorer le monde.

Dernier café. Naná Vasconcelos n’a jamais cessé d’expérimenter, toujours en privilégiant une approche instinctive et sensuelle. Sa seule présence lors d’un enregistrement lui évite parfois de s’enfermer dans une routine. Ainsi, son dernier album, Café no Bule, sorti il y a quelques mois, en trio avec Paulo Lepetit et Zeca Baleiro. Il était la concrétisation d’un projet à l’origine prévu avec Itamar Assumpção, remplacé par Lepetit, et c’est le meilleur album qu’on ait entendu de Zeca Baleiro depuis des lustres ! D’humeur légère, le trio revisite xote, afoxé,  batuque etc… Parmi les interludes entre les chansons, on découvre un « Bonne Chance » chanté en français : « Ma chérie à bientôt / Pour le monde je pars / Bonne chance pour Naná, Lepetit et Zeca« . Naná est parti, alors bonne chance à lui…

Café no Bule Nana Zeca Lepetit

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* Naná a enregistré de nombreux albums sur ECM. Notamment avec Pat Metheny ou Jan Garbarek. Et également avec Egberto Gismonti, dont le célèbre Dança des Cabeças (1977)

 

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