Disques/São Paulo

Le genre samba de Criolo

Que Criolo sorte un album exclusivement dédié au samba est une excellente nouvelle. Mais peut-être pas une surprise. Depuis que l’on sait que le MC de Grajaú est aussi chanteur, c’est par le biais du samba qu’il a signé quelques unes de ses plus belles réussites, avec « Linha de frente » sur Nó na orelha (2011) et « Fermento pra massa » sur Convoque seu Buda (2014), par exemple.

Nó na orelha avait révélé un artiste versatile, aussi à l’aise pour poser des lyrics sur un beat tendu que chanter un boléro. Depuis, Criolo est toujours resté aussi versatile mais ces derniers enregistrements montraient  que c’était d’un album à l’autre qu’il changeait de style. Après Ainda há tempo, sorti l’an dernier au Brésil et ces dernières semaines ici, qui revisitait son premier album, sorti dix ans plus tôt dans un certain anonymat et restait strictly hip hop, Espiral de Ilusão est donc un album dédié au samba. On pourrait même ajouter (sans s’y attarder) à ces deux albums thématiques Viva Tim Maia !, l’album en duo avec Ivete Sangalo consacré au répertoire de Tim Maia.

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Comme on parle de film de genre, Criolo signe ici un album de genre. À savoir que le genre est régi par certains codes propres, qu’il s’agisse de samba ou de film noir. En musique comme au cinéma, la simple existence de ces codes donne envie à certains de les transgresser. Quand Cary Grant est poursuivi par un avion au milieu des champs écrasés de soleil dans La Mort aux trousses (North by Northwest), c’est parce qu’Alfred Hitchcock s’amuse à prendre le contre-pied des clichés du film noir où une telle scène devrait se dérouler de nuit, sous la pluie, en ville. Criolo lui ne cherche à rien déjouer du tout : il accepte tous les codes du samba. Il le fait avec respect mais aussi parfois avec humour car il y a de l’humour dans le samba.

Premier point, l’orchestration y est des plus classiques : percussions, guitare à sept cordes et cavaquinho, ainsi qu’un trombone et saxo/flûte. Il ne s’agit pas pour Criolo de fanfaronner avec une forme d’hybride samba-rap comme avait pu le faire, il y a près de quinze ans déjà, avec beaucoup de réussite Marcelo D2 sur A Procura da Batida perfeita, un classique aujourd’hui. Il ne cherche pas non plus à imiter le samba d’auteur d’un Douglas Germano, brut, minimaliste et avec une griffe unique. Produit et en partie arrangé par ses fidèles compères Daniel Ganjaman et Marcelo Cabral, Espiral de Ilusão est au contraire un album qui ne veut pas jouer à être original pour être original. Il faut voir dans cette approche la sincérité de la démarche de Criolo. Dans le long entretien qui accompagne la sortie du disque, il dit ce respect et cette sincérité. « J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour le samba et un désir très fort de pouvoir, un jour, enregistrer un disque de samba. Je partageais ce rêve avec mon entourage mais ce n’était jamais allé plus loin parce que je me disais : ‘mais qui suis-je pour faire un disque de samba ?’. Mais je suis brésilien et si j’aime le samba et que je fais les choses respectueusement, y’a aucun problème ? En même temps, je crois que j’avais besoin de ressentir en moi le bon moment de pouvoir me permettre ce rêve. Parce que c’est très sérieux et très fort aussi, ce n’est pas rien ! La musique est quelque chose de très fort et le samba, c’est quelque chose de très particulier pour nous, pour tout notre peuple, notre ville, ma famille« .

Parce que Criolo dit bien qu’il n’est pas possible de faire ce disque sans penser à l’histoire du samba et à ses maîtres, parmi lesquels il cite Paulinho da Viola qui l’a en quelque sorte adoubé, il s’est inscrit dans une longue lignée en confiant à Elifas Andreato le soin de dessiner la pochette de l’album. Si on ignore le nom d’Elifas Andreato, impossible d’avoir échappé à son art : de son style kitsch et naïf, il a signé toutes les pochettes marquantes du samba des années soixante-dix et quatre-vingt, de Paulinho da Viola à Clementina de Jesus, en passant par Martinho da Vila. Pour Criolo, il adopte un style plus graphique et lui offre une pochette à la fois rétro et intemporelle.

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Mais, surtout, et c’est bien là l’essentiel, c’est par le répertoire que Criolo rend un hommage respectueux au samba. Un hommage qui ne rate aucun des passages obligés. « Nas Aguas » instille une touche de spiritualité en évoquant cette mer où l’on se baigne pour se faire pardonner et se bénir. « Filha do Maneco » montre le narrateur s’amouracher de la fille du parrain de la communauté alors qu’il a déjà inscrit celle-ci à l’université et rêve pour elle d’un autre statut social. Mais qu’importe ces interdits, Criolo y campe avec truculence le naïf qui n’écoute que son cœur et imagine déjà la fille en « dona do seu barracão » dans un élan de ravi de la crèche qui ne craint pas le ridicule. Pour ne citer qu’un autre exemple, le morceau-titre « Espiral de Ilusão » sacrifie à l’incontournable thème de la trahison amoureuse. Le chant de Criolo y est magnifique d’émotion quand il interroge sa compagne dans son sommeil : comment peut-elle dormir ainsi alors qu’elle le blesse et le trompe. Il a déjà découvert son infidélité. La dor de cotovelo est un genre en soi du samba mais Criolo ne saborde-t-il pas dans l’œuf l’émotion qu’il vient de faire naître en osant ce « eramos três« , plus proche du grotesque que de la cruelle poésie en la matière d’un Nelson Cavaquinho ou d’un Cartola, simplement pour une pauvre rime ?  »  « Eu já descobri tudo o que você fez / não era só eu e você, eramos três » (« J’ai déjà découvert tout ce que tu as fait / Ce n’était pas seulement toi et moi : nous étions trois »). Comment peut-on passer ainsi en deux mots de la tragédie intime au vaudeville ? C’est la seule interrogation que pose cet album magnifique…

Criolo brille de nombreuses facettes au service du genre le plus noble de la musique brésilienne. Il incarne en chanteur inspiré et malicieux le samba sous son jour aussi bien social, sentimental que festif. Plus qu’un hommage, ou un exercice de style, Espiral de Ilusão est une déclaration d’amour à l’âme intemporelle du peuple brésilien dont Criolo se fait le médium.

L’album est en téléchargement gratuit sur le site officiel de Criolo.

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