L’illumination a commencé dans un shoot de mescaline. A l’aise et bien perché dans son délire, Tim Maia était de passage chez son ami Tiberio Gaspar quand il remarqua un livre sur la table basse et se mit à le feuilleter pour ne plus le lâcher. Il s’empressa d’appeler Paulinho Guitarra, le leader de son groupe, pour lui parler de quelque chose de très important, toutes affaires cessantes : il avait désormais la réponse à toute chose et savait même que nous venions d’une lointaine planète, que sur cette Terre nous vivions à l’état animal et que seule l’Immunisation Racional pourrait nous purifier afin d’être délivrés, pour qu’alors des soucoupes volantes viennent nous ramener sur notre planète d’origine, la Superior Racional. Le livre s’appelait Universo em Desencanto*, il était l’œuvre de Manoel Jacintho Coelho, le gourou et fondateur de la Cultura Racional.
L’effet de la mescaline est puissant, même chez un tox’ de l’envergure de Tim Maia. Je me rappelle encore les paroles de Thierry BossaNovaBrasil qui me racontait qu’après avoir lu les biographies de Keith Richards et Tim Maia, le premier faisait l’effet d’être un enfant de chœur. Il faut dire que Tim Maia s’était fait une spécialité personnelle du triathlon, à savoir une combinaison d’alcool, cannabis et cocaïne consommés en quantités invraisemblables. Sur le sujet, l’homme était regardant sur la qualité des produits : il buvait du whisky 12 ans d’âge, concoctait un mélange de skunk et haschisch pour ses joints et ne traçait ses lignes que de poudre pure. Tim Maia était moins exigeant sur les apparences puisqu’il n’était jamais aussi à l’aise pour pratiquer ses triathlons que simplement vêtu d’un vieux slip.
Il faut croire qu’il découvrit dans l’Imunização Racional un effet encore plus fort que celui combiné du triathlon : du jour au lendemain en cette année 1974, il se coupa les cheveux, rasa sa barbe, cessa de se droguer, se débarrassa de ses biens matériels et entreprit même d’endoctriner ses musiciens. Serginho Trombone raconte qu’il obligea tout le monde à s’habiller de blanc. Même plus : à repeindre en blanc leurs instruments, y compris la batterie pendant que, lui, scrutait le ciel dans l’espoir d’y apercevoir une soucoupe… Il les obligeait également à lire trente pages d’Universo em Desancanto avant chaque répétition.
Particulièrement dédié à la secte, il entreprit de chanter ses louanges en musique et enregistra deux disques devenus mythiques Racional Vol. 1 et Racional Vol. 2. Au terme de six mois d’endoctrinement, Tim Maia réalisa à quel point il s’était fourvoyé et renia ces deux albums. Bien des années plus tard, à Marisa Monte qui voulait reprendre « Que Beleza », il dit : « Pô, mais pourquoi tu n’oublies pas toutes ces histoires, Marisa Monte ? Laisse ça, Marisa Monte ! ». La rareté fait la valeur et les quelques exemplaires encore en circulation s’arrachaient pour des fortunes. Il faut aussi préciser que RCA, sa maison de disques à l’époque, ne s’était pas montrée très chaude pour sortir l’album, bien qu’il ait été enregistré dans leurs studios. Qu’importe, Tim Maia créa son propre label SEROMA, ainsi nommé parce que c’était une contraction de son nom complet SEbastião ROdrigues MAia, en même temps que AMORES à l’envers. Sans contrat de distribution, les musiciens embrigadés devaient porter des piles d’albums chez les disquaires.
Emporté par son élan mystique, Tim Maia a utilisé pour ces albums des musiques déjà enregistrées mais en a changé les paroles pour faire du prosélytisme à la gloire de la Cultura Racional. C’est là aussi une éclatante démonstration de son talent : transformer de foireuses litanies ufologiques en hymnes hyper-funky ! Il aurait adapté l’annuaire que, pareil, ça aurait claqué de folie ! Sur ces enregistrements, il joue lui-même de la basse, de la batterie, des percussions et de la flûte. Délesté de ses addictions et aminci, on dit qu’il ne chanta jamais aussi bien que lors de cette parenthèse mystique, ce qui reste à voir.
Pour illustrer cette mutation, on le retrouve sur ces images rares à l’aube de sa plongée dans l’univers Racional. Nous sommes en 1974 et, après avoir présenté ses musiciens, il interprète « Que Beleza ». Il n’est pas encore de blanc vêtu mais déjà évoque ce livre qu’il est en train de lire…
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* Universo em Desencanto est en fait une somme de 1000 livres. Tant qu’à faire…
A défaut de pouvoir lire la biographie de Nelson Motta, Vale Tudo – O Som e a Fúria de Tim Maia, on peut se reporter sur l’excellent article d’Allen Thayer, « Soul Searching » paru dans Wax Poetics, ainsi que sur celui de Silvio Essinger, « O Mítico disco de Tim Maia » pour CliqueMusic, articles dont j’ai repris ici quelques anecdotes.