Longtemps inconnu en dehors de son pays de son vivant, Tim Maia voit son importance réévaluée alors que le label Luaka Bop sort la compilation Nobody Can Live Forever : The Existential Soul of Tim Maia. Sur cet album concentré sur la première partie de sa carrière, on retrouve plusieurs morceaux dont il n’aurait jamais, de son vivant, autorisé la réédition. Il s’agit de quelques titres tirés de sa période Racional quand pendant environ six mois, en 1975, il rejoignit la secte de l’Universo em Desencanto.
J’ai longtemps été intrigué par cette référence Racional. A la fin des années quatre-vingt-dix, n’ayant alors pas trouvé de renseignements satisfaisants en cherchant sur la Toile, j’interrogeais des amis brésiliens qui ne m’en dirent guère plus. J’élaborais donc une hypothèse : ce Racional-là était probablement une manifestation supplémentaire de la place occupée au Brésil par le Positivisme d’Auguste Comte puisque la devise nationale Ordem e Progresso en est elle-même inspirée*.
D’Auguste Comte, né en 1798 à Montpellier, on retient d’abord qu’il est l’inventeur de la doctrine positiviste. On oublie aussi qu’il est un des fondateurs de la sociologie, et qu’il a inventé la notion d’altruisme. Sa pensée évolua jusqu’à instaurer la Religion de l’humanité, religion sans dieu mais qui trace la route que devrait suivre l’humanité guidée par le Progrès vers, justement, l’altruisme (« vivre pour l’autre »). Cette démarche a parfois été moquée, notamment par Raymond Aron dans son célèbre ouvrage Les Etapes de la pensée sociologique où il écrit d’Auguste Comte : « il a fait un plan précis de ses rêves, ou des rêves auxquels chacun de nous peut s’abandonner dans les moments où il se prend pour dieu », cassé.
C’est bel et bien cette pensée et cette religion qui s’implantent au Brésil. Miguel Lemos et Raimundo Teixeira Mendes sont de fervents disciples dont l’influence sur la société brésilienne sera durable, au moins jusqu’à Getúlio Vargas. Ils sont les fondateurs de l’Eglise Positiviste du Brésil qui sera très impliquée dans les luttes abolitionnistes et pionnières en matière de droits du travail. Comte trouve également en Benjamin Constant Botelho de Magalhães un prosélyte éclairé. Militaire, mathématicien et philosophe, il sera, en 1889, le fondateur de la République brésilienne. Lui qui écrivait en 1867 : « la Religion de l’Humanité est ma religion (…) C’est une religion nouvelle et cependant la plus rationnelle, la plus philosophique et la seule qu’impliquent naturellement les lois qui régissent la nature humaine« .
Tout ceci est bien intéressant mais, hélas patatras, il n’y a rien de positiviste dans le racional de Tim Maia. La doctrine Racional est infiniment plus barrée, plus proche de Raël que d’Auguste Comte, comme nous le verrons prochainement.
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* La devise positiviste est très exactement Amor, Ordem e Progresso : « O Amor por princípio e a Ordem por base; o Progresso por fim« , soit en français : « L’amour pour principe et l’ordre pour base; le progrès pour but« .
A lire :
Paul Arbousse Bastide, Sur le Positivisme politique et religieux au Brésil