Disques/Pernambouc

La Mer, le piano et les merveilles de Zé Manoel

La magie opère… La mer est là, les chansons aussi, et le silence qui laisse respirer la musique. Canção e Silêncio de Zé Manoel est une formidable découverte, un disque merveilleux d’un classicisme intemporel, envoûtant comme le roulis des vagues, émouvant comme une plage déserte la nuit quand on a le cœur qui bat d’amour.

Les premières notes, graves, à la main gauche du piano, tombent comme de grosses gouttes, annonçant l’orage : l’eau sera l’élément dans lequel baigne la musique de Zé Manoel. L’eau douce, comme sur « Água Doce », ce premier titre de l’album, mais surtout la mer. Ce jeune artiste est pourtant originaire de Petrolina, dans le Sertão de l’intérieur du Pernambouc, loin de l’océan mais où coule le Rio São Francisco. Installé depuis quelques années à Récife, il peut désormais contempler l’horizon de cette mer qui n’est pas seulement l’Océan Atlantique mais une métaphore. Quand il compose « O Mar » et « Sereno Mar », à sa façon impressionniste il fait vivre cette mer, on croit la sentir face à nous, presque physiquement… Et même quand elle est sereine, on sait qu’elle pourra se déchaîner.

Zé Manoel

Outre la mer, Zé Manoel cherche le silence, sa plus grande ambition, (« A Maior Ambição »). Mais puisqu’il est musicien, c’est à travers la chanson qu’il cherche ce silence (« Canção e Silêncio »). Comme une quête de pureté qu’il mène à bien… Qu’il soit accompagné d’un orchestre, en trio piano jazz ou en solo, Zé Manoel toujours touche à l’essentiel.

L’album est produit par Carlos Eduardo Miranda et Kassin, certains arrangements sont signés par Letieres Leite. Si les premiers sont résolument du monde de la pop et que Letieres Leite, s’il vient de la musique classique, explore maintenant la richesse des musiques afro-brésiliennes en grande formation (avec son Orkestra Rumpilezz), leur travail échappe à tout format et tend vers l’épure. Il se contente d’offrir le plus bel écrin à la voix grave et sans effets de Zé Manoel. Rien de superflu ne vient polluer le projet. Surtout pas la formidable batterie de Tutty Moreno ! Non plus la voix d’Isadora Melo sur « Volta pra Casa ».

Si jeune et déjà d’une maturité confondante, Zé Manoel est résolument hors-mode, pour preuve les seules références qui nous viennent à l’esprit pour présenter sa musique sont deux géants d’autrefois. D’un côté, on percevra l’ombre tutélaire de Dorival Caymmi pour la profondeur avec laquelle la mer prend vie dans les chansons. De l’autre, par exemple sur « Cada Vez Que Digo Adeus », c’est à Johnny Alf pour pensera, pour cette élégance samba-jazz / bossa nova.

Ze-manoel piano

Parce que le public international n’est que rarement curieux de musique brésilienne, on en vient à espérer voir Canção e Silêncio distribué par un grand label de jazz où il aurait toute sa place. Zé Manoel n’a pas seulement signé un des meilleurs albums de ces dernières années dans son pays mais un grand disque tout court qui ne se réduit ni à son époque ni à son origine. C’est à ces conditions que l’on reconnait un chef d’œuvre.

Il est en téléchargement gratuit sur le site de l’artiste (via Dropbox). Suivez le lien et vous aurez bien du mal à ne pas l’écouter en boucle !

Zé Manoel, Canção e Silêncio (2015)

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