Avec Lero-Lero, son premier album sorti en 2010, Luísa Maita s’imposait comme une évidence parmi les nouvelles chanteuses brésiliennes. Loin des canons en vigueur, cette ligne claire du chant féminin post bossa nova, elle avait comme Céu cette langueur irrésistible dans la voix ainsi qu’une même ouverture sur les sons urbains, elle dégageait une malemolência, une indolence… peut-être trompeuse car Luíza est une bosseuse. Comme elle nous l’expliquait il y a quelques semaines dans une interview où elle présente son nouvel album, Fio da Memoria. Pour celui-ici, elle s’était entourée de Tejo Damasceno (du mythique duo Instituto) et Zé Nigro : « j’avais très envie d’expérimenter le son électronique, c’était une aventure et je suis très contente du résultat ».
Amado Maita, ton père, et Myriam Taubkin, ta mère, travaillaient tous les deux dans la musique, as-tu jamais envisagé de faire autre chose qu’être chanteuse et musicienne toi-même ?
Luísa Maita : Si, au début, j’ai essayé de suivre d’autres voies, j’ai étudié les sciences sociales, l’histoire, le journalisme, mais j’adorais déjà la scène. La scène m’a toujours ensorcelée, j’assistais à des spectacles très jeune. Et je me souviens d’avoir vu une troupe de danse d’Israël à São Paulo et en avoir été passionné. Je suis entrée à la fac de journalisme mais je jouais avec mon premier groupe, Urbanda, et j’étais très partagée. Jusqu’à ce que je sois appelée pour faire des backing-vocals et que je n’aie jamais réussi à retourner à l’université. C’était un appel très fort de poursuivre dans la musique même si j’ai essayé d’y résister.
La manière dont tu décris le style de vie de ton père Amado fait de lui à la fois un père de famille et un bohème, toujours entouré d’amis, à fumer et boire… Existe-t-il une autre style de vie pour un musicien que la bohème et les amis ?
Luísa Maita : Claro ! Pour moi aujourd’hui, ce sont des choses très dissociées. La musique aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la bohème mais plus avec le fait de travailler dur. Je pense que cette façon de voir a beaucoup changé depuis les années 70.
Sur Lero-Lero, tus as travaillé avec Paulo Lepetit et aussi Rodrigo Campos. Tu chantais également sur son album Bahia Fantástica. Vous étiez un couple très créatif. Est-ce toujours le cas même si vous ne collaborez pas à vos derniers albums respectifs ?
Luísa Maita : J’ai voulu suivre une autre direction musicale mais il a été très important comme partenaire dans ma formation musicale.
Même si vous êtes amis, on ne t’a pas vu beaucoup collaborer récemment avec la bande des « Metá-Torto ». As-tu des projets avec certains d’entre eux ?
Luísa Maita : Je suis fan de ces groupes et de leur musique et je suis aussi amie avec eux. En ce moment, je suis concentrée sur ce disque mais qui sait à l’avenir…
Lero-Lero était très influencé par le samba et avait déjà un son très urbain et contemporain, Fio da memória cherche-t-il à approfondir cette approche (avec l’électro) ou un changement de direction ?
Luísa Maita : Pour moi, Fio da memória n’est caractérisé par aucun style en particulier. C’est un mélange de plein de choses et le samba y apparait mais de manière subtile sur quelques morceaux ou dans les mélodies. Je pense que ce disque est une évolution du premier en terme de langage. Il est plus contemporain mais va aussi chercher des influences plus anciennes, des sons arabes, baroques, jazz, tribaux et aussi la chanson brésilienne. Je ne sais pas encore à quoi ressemblera mon troisième disque mais je ne veux pas qu’il soit une simple répétition du travail antérieur. J’aime chercher d’autres voies et m’aventurer dans l’inconnu.
Alors qu’une bonne part de Fio da memória pourrait sonner « international », le rythme de « Folia » renvoie vraiment au samba, y a-t-il une référence particulière là-dedans ?
Luísa Maita : Pour moi ce disque représente vraiment São Paulo, dans une esthétique plus urbaine et ce côté électro est aussi très paulistano de mon point de vue. Dans ce morceau « Folia », en faisant entendre une école de samba de São Paulo en train de répéter dans son quadra et où il y a ce son de reverb très fort et où le son est très sale, j’ai voulu représenter le samba d’aujourd’hui dans un milieu ultra urbain qui me rappelle de bons souvenir de l’adolescence.
Fio da memória est à la fois down-tempo et tendu Est-ce que les guitares, qui ont parfois un son assez rock, étaient là pour amener cette tension ?
Luísa Maita : Je n’ai pas pensé faire quelque chose de tendu, pour moi, c’est énergique et intense. Je trouve que le disque amène des sensations fortes et qu’il est très dynamique. Mais je n’avais pas d’intention préalable, j’ai simplement commencé à travailler et j’avais très envie de mettre ces sons très forts en raison des paroles et de leur contexte.
Les six ans entre tes deux disques, c’est long mais c’est déjà deux fois plus court que les douze ans qui séparent les deux albums de Instituto. Pour l’album, tu as collaboré avec Tejo Damasceno d’Instituto, est-ce que c’est un processus lent de travailler avec lui ? Est-il perfectionniste ?
Luísa Maita : En aucune manière. Les premiers morceaux avec lui ont été faits très vite. Mais c’est vrai qu’il est perfectionniste. Pas dans le sens de bloquer sur des détails mais plutôt de toujours chercher à atteindre l’expression la plus exacte que tel ou tel son peut avoir…
Après avoir composé, j’ai lu que tu as travaillé en deux étapes. La première en donnant forme aux sons électros et aux morceaux avec Tejo, puis, ensuite, en ajoutant un côté plus organique avec Zé Nigro. Est-ce que c’est vraiement comme ça que tu as travaillé ?
Luísa Maita : En vérité, j’ai pensé morceau après morceau. Au début, je voulais expérimnter les sons électroniques, c’était comme une aventure et j’étais très contente du résultat. Mais, à partir du moment où j’ai composé certains morceaux, j’ai commencé à imaginer d’autres arrangements et j’ai appelé Zé Nigro pour produire et, là aussi, j’ai été très contente du résultat. Il est très versatile, c’est quelqu’un qui comprend tous les langages, qui a étudié beaucoup de musiques en même temps et qui est dans ce langage que développe São Paulo en étant partie prenante de plusieurs projets différents.
Jusqu’où va ce « fil de la mémoire » ? Une partie de ta famille vient d’Europe de l’Est, une autre de Syrie, est-ce que cette histoire familiale fait partie de ce fil ou est-ce déjà trop ancien pour avoir eu un impact sur ta mémoire ?
Luísa Maita : Je trouve que mes familles tirent leur personnalité de leur origine au sens large, dans leur manière d’être et leurs croyances. Je suis née de familles réellement opposées et avec des visions de la vie complètement différentes. Et c’est très enrichissant. Cela évidemment a eu un impact sur moi mais déjà contextualisé au Brésil et déjà avec ses propres histoires à São Paulo.