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Les Disques de 2016

Comme chaque année, voici venu le temps du petit bilan où nous présentons nos disques préférés des douze mois écoulés. Si 2016 aura été un bon millésime en matière musicale, on ne peut ignorer pourtant que ces disques sont sortis dans un contexte de terrible régression politique et sociale, générée par un coup d’Etat déguisé en destitution.

Depuis lors, le Brésil ne fait que s’enfoncer dans une spirale où les coupes budgétaires dans les secteurs de l’éducation et la santé, les droits du travail mis à mal, les droits des femmes et des minorités LGBT attaqués sous la pression des évangéliques, etc…, n’ont pas fini d’avoir des effets dévastateurs sur la population. Et les moindres manifestations de celle-ci sont évidemment réprimées par une violence policière qui rappelle les heures les plus sombres du pays.

Dans ce sinistre contexte, Duas Cidades et MM3 sont les évidences de cette année, deux albums qui se dégagent du lot parce qu’ils sont portés par un élan collectif, par un vrai groupe soudé, parce qu’ils disent l’urgence et la colère devant cette violence politique et sociale. Deux albums signés par deux groupes parmi les plus emblématiques du pays : BaianaSystem et Metá Metá.

1. BaianaSystem, Duas Cidades

« Beto » Barreto, Russo Passapusso, SekoBass et Filipe Cartaxo ont pris le temps, six ans, pour enregistrer ce deuxième album. Il faut dire que leur préoccupation était la scène. Pour les accompagner en studio dans l’accouchement de ce disque, Daniel Ganjaman à la production s’est montré aussi inspiré qu’avec Criolo. Quant à Russo Passapusso, son chant et son flow n’ont rien perdu de leur ferveur. Alors que je n’ai encore qu’une idée théorique du phénomène, la perspective d’en faire enfin l’expérience, de les découvrir le mois prochain au milieu de la foule lors du prochain carnaval de Salvador, m’incite d’autant plus à les mettre au premier rang de cette sélection.

Baiana System - Duas Cidades

Chronique : « BaianaSystem, la ville et ses masques »

2. Metá Metá, MM3

Fidèles à l’urgence ! Alors qu’ils auraient pu prendre du temps en studio, Juçara Marçal, Kiko Dinucci et Thiago França, accompagnés de leur rythmique Marcelo Cabral-Sérgio Machado, ont choisi d’enregistrer leur album en trois jours seulement. Un troisième album qui affronte la réalité du moment avec colère et amour. Cinq ans après son premier album, plus que jamais le nom que s’est choisi le groupe prend sens, un mot yoruba qui signifie « trois ensemble ».

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Chronique : « Metá Metá, trois amis plus unis que jamais »

3. Douglas Germano, Golpe de Vista

Le samba quand il est dépouillé jusqu’à l’os par Douglas Germano présente encore de sacrés beaux restes. Mieux, cette carcasse est l’essence même du genre. Enfin reconnu grâce à la reprise de « Maria de Vila Matilde » par Elza Soares, Douglas Germano est un auteur précieux. Ses sambas sont intenses et ne ressemblent qu’à lui.

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Chronique : « Douglas Germano et le côté gauche du samba »

En téléchargement gratuit sur son site.

4. João Donato, Donato Elétrico

Quand on a su que João Donato traînait en studio avec Bixiga 70, on s’est dit que ça sonnait drôlement bien sur le papier. L’album instrumental qu’ils ont enregistré ensemble, Donato Elétrico, est encore mieux que ça ! Une vraie cure de jouvence pour Donato qui retouche aux claviers électriques avec lesquels il avait enregistré des albums cultes durant les années soixante-dix. Rarement le plaisir de jouer est aussi manifeste que chez lui ici. On sent qu’il s’amuse et qu’il s’éclate. Un festival.

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5. Serena Assumpção, Ascensão

Ascensão n’est pas un disque de Serena Assumpção. C’est un hommage aux orixás qu’elle a organisé et porté de sa conception à sa réalisation. Un hommage pour lequel elle s’est entourée d’une pléiade d’amis chanteurs et musiciens, un travail au long cours débuté en 2009, après des années de fréquentation du terreiro Ile De Oba De Dessemi à São Paulo, terreiro où elle a fait son initiation pour devenir fille de saint. Entourée de ses amis Céu, Curumin, Metá Metá, Moreno Veloso et tant d’autres, Serena laisse un magnifique hommage qui est aussi, hélas, un testament sorti peu de temps après sa mort précoce.

Serena Assumpção Ascensão

Chronique : « Le Panthéon de Serena »

6. Caê, A Nave de Odé

Après les très belles ballades de Estação Sé, son premier album sorti en 2012, Caê Rolfsen s’embarque pour un voyage bien afro (reggae, afrobeat…) en hommage à Odé, son orixá, un « Oxóssi sideral« . Composé de Juçara Marçal, Thiago França, Sérgio Machado, Bruno Buarque et d’autres, son équipage a de l’allure et ses chansons sont imparables !

Caê A Nave de Odé

Chronique : « Caê navigue (loin) avec Odé »

En téléchargement gratuit sur son site.

7. Fernando delPapa, Eu Também

Une des belles surprises de l’année et même une révélation. On connaissait Fernando delPapa comme animateur et pivot des fêtes organisées par sa Roda do Cavaco et on découvre aussi un auteur.

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Chronique : « Fernando delPapa, jamais deux fois sur la même note »

8. Céu, Tropix

Si sa voix demeure et sa langueur constitue toujours sa griffe, Céu a radicalement changé de son pour enregistrer cet album puisqu’elle a sollicité, outre Pupilo et Lucas Martins, Hervé Salters aka General Elektriks. Aucune trace ici de l’album dans nos colonnes. J’ai l’ai pourtant chroniqué dans Kalakuta mais j’attendais de la voir sur scène, dans une configuration différente de celle qu’elle avait choisi quelques mois plus tôt quand elle était passée par Arles, pour y revenir ici. Hélas, son concert à Montpellier a d’abord été reporté puis finalement annulé…

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9. Matheus Brant, Assume que gosta

Le disque pop de l’année. Matheus Brant assume tout : brega, arrocha, sertanejo universitário, pagodinho, mais surtout, il s’amuse. Avec son album Assume Que Gosta, il revisite tous ces genres populaires synonymes de mauvais goût pour en faire des chansons pop enlevées sans ironie ni le moindre mépris. Il réussit à être brega avec classe !

Matheus Brant Assume Que Gosta

Chronique : « Matheus Brant ou l’élégance du mauvais goût »

En téléchargement gratuit sur son site.

10. Camarão Orkestra

Les crevettes de Paname s’invitent à la fête. En parallèle à l’éthio-groove revisité avec Akalé Wubé, Paul Bouclier et ses amis lancent ce side-project qui balance. Bien sûr, au rayon des orchestres, Abayomy Afrobeat Orquestra aurait mérité d’être de cette sélection pour son Abra sua Cabeça mais la présence du Camarão Orkestra vient nous rappeler que des surprises peuvent venir de partout. Et que, même en France, on trouvera des musiciens inspirés qui sauront faire vivre les musiques brésiliennes.

Camarao Orkestra

En conclusion, on remarquera dans ce palmarès que le nombre d’albums proposés en téléchargement gratuit par leurs auteurs diminue d’année en année. Trois seulement sur dix cette fois-ci quand, quelques années plus tôt, la plupart de nos coups de cœur l’étaient. Les habitudes changent. Les artistes espèrent visiblement retirer une rétribution des plateformes digitales. Car ce n’est toujours pas grâce aux supports physiques qu’ils gagneront leur vie. Au Brésil, sur le premier semestre 2016, les ventes digitales représentaient déjà 70% du marché de la musique enregistré.

N’empêche, du point de vue d’un blogueur, cela donne l’impression qu’un âge d’or s’achève. Le téléchargement gratuit donné par l’artiste offrait une proximité avec le Brésil. Le sentiment de pouvoir écrire en temps réel et rendre accessible de ce côté-ci de l’Atlantique l’actualité musicale était une motivation. On a d’autant plus envie de partager que ce que l’on partage et souhaite faire découvrir est accessible. Dans l’absolu, on devrait pourtant reconnaître que ce n’est pas perdu : il reste les plateformes digitales et les sites de streaming pour garder cette simultanéité.

Personnellement, je me refuse à payer le moindre centime pour un fichier ou un flux. Dans le premier cas, le prix est une arnaque, dans l’autre l’arnaque est pour les artistes qui ne voient que peau de zob des montants générés. Donc (je télécharge et) je garde mes sous pour m’offrir un album quand je le trouve. Certes, de plus en plus d’albums ont également droit à un pressage en vinyle. C’est très bien, c’est très beau mais c’est aussi très… cher. Au Brésil, un 33T coûte en moyenne quatre fois plus cher qu’un CD : ça calme. Pour la première fois et c’est un comble vu que les pressages se réduisent à peau de chagrin et sont de plus en plus difficiles à trouver, j’ai réussi à me procurer tous les CD des albums présentés.

Mais revenons à l’essentiel : deux formidables albums de combat, un classique instantané, un retour de flamme inespéré, un beau testament, des révélations et même une paire de surprises hexagonales, 2016 a effectivement été une bonne année. Et vous, quels sont vos coups de cœur ?

 

 

Une réflexion sur “Les Disques de 2016

  1. De vrais repères ces « best of » annuels
    Beaucoup d’émoção en écoutant Serena Assumpção,( je n’arrive pas à trouver quelque chose qui ressemble à un CD, dommage, je me contenterai du flux youtube…)
    bref, merci

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