France/Portrait

Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire…

Triste fin d’année qui nous annonce le décès de Pierre Barouh. Sans lui, la musique brésilienne n’aurait jamais eu le même accueil en France. L’homme était un passeur généreux.

Pierre Barouh avait quatre-vingt-deux ans et vient d’être emporté des suites d’un infarctus. Lui qui était coutumier des éclipses loin de l’actualité était pourtant à l’honneur ces derniers mois et semblait encore aller bon pied bon œil. D’abord, pour les cinquante ans de son label Saravah, une compilation venait d’être lancée qui voyait son répertoire chanté par de jeunes artistes (Jeanne Cherhal, Olivia Ruiz, sa fille Maïa, etc…). Puis, il y a quelques semaines, on se souvenait d’avoir lu dans Le Monde, un article où il revenait sur la chanson « À bicyclette », bijou offert à Yves Montand. Il y racontait que, lors de l’enregistrement en 1968, Montand s’était trompé dans les paroles : « Au lieu de dire, “De ne pas être seul un instant avec Paulette”, Yves Montand a dit : “De ne pas être un seul instant avec Paulette.” Et là vous voyez bien que l’image se rétrécit ! (…) Avec du recul, j’adore cette anecdote qui donne tout le relief d’un mot ».

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Cette anecdote dit assez bien la sensibilité du bonhomme, son attention au détail. Celle-ci s’est particulièrement manifestée dans son ouverture au monde. Ne disait-il pas que la qualité pour parcourir le monde était la disponibilité ? Et son corolaire la curiosité ? En créant le label Saravah en 1965, il allait justement offrir un formidable terrain de jeu et d’hospitalité à des artistes français (Higelin, Brigitte Fontaine), américain (Art Ensemble of Chicago), africain (Pierre Akendengué) ou brésilien (Naná Vasconcelos). Et comment ne pas adhérer à un label qui prend pour devise « il y a des années où l’on a envie de ne rien faire » ? Mais si Saravah ne voulait rien forcer, il pouvait aussi faire les choses à l’impromptu, en toute spontanéité. Par exemple, quand Pierre Barouh commence à discuter dans un bistrot avec Alfred Panou puis que celui-ci l’accompagne en sortant au studio où l’Art Ensemble of Chicago s’était installé. Quelques heures plus tard, « Je suis un sauvage », rétrospectivement considéré comme un ancêtre du slam, était dans la boîte !

Pierre Barouh, c’était aussi quelqu’un qui ne manquait jamais d’aider ses amis. S’il doit une partie de sa notoriété au film de Claude Lelouch Un homme et une femme, Palme d’Or à Cannes en 1966, où il joue un rôle et interprète la fameuse chanson-titre en « chabada », on sait moins que c’est lui qui s’est battu pour trouver un financement supplémentaire alors que le tournage s’était brutalement arrêté faute de moyens au bout de quelques jours.

Ce fameux tournage d’Un homme et une femme avait commencé quelques jours après le retour de Pierre Barouh du Brésil où il tournait son fameux film Saravah. Lelouch passe le chercher à l’aéroport et Barouh, tout excité, lui fait écouter la « Samba Saravah » qu’il venait d’enregistrer la nuit précédent son retour. Ni une ni deux, Lelouch l’intègre au film !

Dans son rapport au Brésil, Pierre Barouh l’a toujours joué modeste. Il dit que ce sont les Brésiliens, dont son ami Baden Powell, qui l’ont poussé à faire cette adaptation du « Samba da Benção » de Vinícius de Moraes, que sinon il n’aurait pas osé. Bon, il est vrai que les puristes jugent son talent de musicien quelque peu approximatif mais il a mis beaucoup d’âme dans cette version.

De son rapport au Brésil, on retiendra donc une histoire d’amitié et un formidable témoignage : ce film Saravah qu’il tourne visiblement en 1965 (et qui ne sortira qu’en 1969). Il a le mérite d’être le premier à filmer ainsi Pixinguinha alors que celui-ci a déjà près de soixante-dix ans à cette époque (où étaient es réalisateurs brésiliens pendant tout ce temps ?), et l’intarissable et élégant João da Baiana. Il était aussi là quand Baden et Vinícius étaient dans leurs Afro-Sambas. Si Saravah n’a pas pris une ride c’est parce que la jeunesse de Maria Bethânia et Paulinho da Viola irradie l’écran. C’est un film dont des extraits ont souvent été postés ici. Voici la version intégrale et soit dit en passant : à quand une vraie réédition du DVD ? Car, même la version proposée par Frémeaux ne comportent que des sous-titres en japonais, aucuns en français…

Son nom signifie « béni » en hébreu, nul doute que sa vie l’a été. Et que son label ne pouvait être mieux nommé. Alors même s’il est déjà béni Pierre Barouh, on lui envoie un sacré « saravah » du fond du cœur.

Quant à sa devise, les quelques habitués de ces pages ont pu constaté que je me l’étais fâcheusement approprié ces derniers mois. Et oui, il y a des moments où l’on a envie de ne rien faire. Sauf peut-être écouter Paulinho da Viola en boucle sans jamais me lasser…

 

2 réflexions sur “Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire…

  1. Il est chouette ce film,tellement l’idée que je me fais du Brésil, de la Bossa et Pierre Barouh proposant du camenbert à Paulinho da Viola et Bethania …
    Tellement chouette que j’en avais oublié les sous titres japonais

    Bonne année 2017, qui verra naître quelques futurs grands hommes/femmes, musiciens/ musiciennes à Rio, Mumbay ou Limoges !

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