Disques/São Paulo

Douglas Germano et le côté gauche du samba

Douglas Germano a longtemps été considéré comme le secret le mieux gardé du samba de São Paulo mais ça, c’était avant. Avant qu’Elza Soares n’interprète « Maria de Vila Matilde ». Cette composition, un des titres les plus forts de A Mulher do Fim do Mundo, l’album de la résurrection d’Elza, a tiré Douglas de l’anonymat alors que cela fait déjà trente ans qu’il dédie sa vie au samba. La sortie de Golpe de Vista, seulement son deuxième album, a donc été logiquement attendue avec intérêt puis accueillie avec les éloges.

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Si Douglas Germano suscite enfin une telle curiosité, c’est aussi en raison de la place particulière qu’il occupe au sein d’un style musical aujourd’hui devenu essentiel et qu’on nomme avec plus ou moins de bonheur samba punk ou samba torto. Un style qui capterait l’esprit du lieu et serait ainsi emblématique de São Paulo. Metá Metá, Passo Torto et les autres projets de la bande à Kiko Dinucci, Rodrigo Campos et Romulo Fróes en sont les plus beaux manifestes. Douglas Germano est présenté comme le chaînon manquant pour comprendre la scène actuelle car si, il y a vingt ans, on ne parlait pas encore de samba punk, lui déjà était là avec le Mutirão do Samba. En 2008, on ne parlait toujours pas de samba punk, mais il était là et intégrait le groupe de Kiko Dinucci Bando Afromacarrônico qui se produisait toutes les semaines dans le bar Ó do Borogodó. Leur album Pastiche Nagô, (toujours en téléchargement gratuit) lui aussi précieux témoignage de la genèse de ce style, est aujourd’hui réédité en vinyle, signe de l’intérêt présent pour la redécouverte de ces premiers germes et mesurer à leur aune l’évolution actuelle de cette scène et de ces artistes. Toujours avec Kiko Dinucci, Douglas Germano fondait en 2009 le Duo Moviola et lançait l’album O Retrato Do Artista Quando Pede. Kiko Dinucci a conservé toute son admiration pour son compère : « Douglas, dit-il, est une espèce de classique réinventé. À écouter ses sambas, on a l’impression de découvrir des sambas découvertes dans des fouilles, on se sent comme un archéologue qui, tout à coup, rencontre des classiques jamais écoutés. Mais ça n’a rien à voir avec la nostalgie, ce sont des sambas qui dialoguent avec l’angoisse et la solitude des grandes villes, avec la révolte et l’envie de crier. Depuis que je le connais, en 1997, je le considère comme un maître, l’égal d’un Nelson Cavaquinho, d’un Paulo Vanzolini ou Aldir Blanc. Douglas prend le samba et le projete dans le futur, montrant que le samba est une réinvention constante et pas un musée. Le samba dans les mains de Douglas est vivant, même s’il survit dans les décombres. Il est la vie qui palpite de farce, le vase qui ne casse pas, tel que le samba a toujours été« .

Il fallut attendre 2011 pour que Douglas Germano lance son premier album, le magnifique Orí, un de nos coups de cœur cette année-là. Il en aura fallu cinq années de plus pour qu’il puisse sortir ce deuxième enregistrement. Notre homme n’ayant pas le budget pour sortir un disque par an, il rassemble ici des morceaux de son répertoire composés récemment ou, parfois, il y a une quinzaine d’années.

Disque bref et intense, rugueux et indispensable, Golpe de Vista est un album viscéralement personnel, composé et interprété en grande partie par Douglas Germano lui-même. Il chante d’une voix sans apprêt mais pleine d’autorité et d’évidence et, hormis une flûte, un saxophone et surtout un chœur qui l’accompagnent, il se charge de jouer lui-même de la guitare, du cavaquinho et des percussions. Et encore, s’agit-il principalement de la plus modeste et intimiste entre toutes, la caixa de fosfôros, la boîte d’allumettes qui l’accompagne partout (pour un sambiste fumeur, le briquet est de peu d’intérêt). Ce dépouillement ne ferme pas la porte à des expérimentations étonnantes, comme ce cavaquinho joué avec un archet de violoncelle (« Zeirô Zeirô »).

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« Maria de Vila Matilde » figure au répertoire de l’album. S’il a été composé pour Elza et que les paroles sont écrites pour une femme, cette dénonciation des violences conjugales est aussi autobiographique. La propre mère de Douglas Germano en était elle-même victime. Comme il l’expliquait récemment, « j’ai connu cette tragédie à la maison. Ca peut sembler exagéré de parler de tragédie mais ça ne l’est pas. J’avais entre dix et douze ans. C’est une situation capable de détruire n’importe quelle famille. Perturber le développement des enfants, compromettre l’estime de soi, réduire en miettes la dignté de la femme, etc. C’est terrible et c’est culturel. De toute la terreur subie à l’époque, ce qui me reste aujourd’hui, le plus clairement, c’est le silence. Cette terreur était cachée. On n’en parlait jamais. Ma mère restait parfois des semaines sans sortir de la maison à attendre que les hématomes disparaissent. Il était interdit à moi et mes frères de dire quoi que ce soit. J’ai envoyé cette chanson à Elza quand j’ai été invité à composer pour le disque, parce qu’elle est la première personne que j’ai entendu parler des problèmes que l’on rencontrait à la maison. C’était dans les années quatre-vingt, dans l’émission TV Mulher. Une interview d’Elza Soares par Marília Gabriela. C’est devenu la clé pour moi. J’ai compris qu’il fallait dénoncer de quelque manière que ce soit. Même si c’est clair que pour un gamin de douze ans, le maximum que j’ai pu faire, c’est d’en parler à la voisine et à ma grand-mère maternelle. Aujourd’hui, par rapport à cette question du silence, je me bats pour que la musique serve à encourager la dénonciation« .

Douglas Germano a baigné dans le samba depuis sa tendre enfance. Si son père a traumatisé sa propre famille, ce « malandro romântico » était aussi percussionniste et a entraîné son fils très jeune dans cette voie. Douglas a intégré dès l’adolescence la bateria de l’école de samba Nenê de Vila Matilde avec laquelle il a défilé pendant une dizaine d’années. Plus tard, c’est avec le surnom de Cuca, qu’il se taille une réputation dans les rodas de samba. Ce parcours de vie qui passe également par la composition pour le théâtre, ne l’a pas enfermé dans un moule, au contraire, il en a tiré un style personnel de samba autoral. Pour lui, l’art est toujours une prise de position et quand on lui demande de quel côté penche son samba, il répond sans hésiter : « mon samba est du côté gauche. Du côté qui inclut, du côté qui réclame ou qui dénonce les abus de pouvoir dans toutes les sphères où on les rencontre. Il n’est pas possible de faire de l’art sans s’engager, sans assumer sa position. Autrement je ne sais pas faire« . Golpe de Vista est donc un album sans aucune concession. Douglas Germano peut chanter une berceuse pour Oxum (« Canção pra ninar Oxum »), les violences conjugales (« Maria de Vila Matilde »), moquer le poids des normes (« ISO 9000 ») ou dénoncer « la transformation de la personne physique en personne juridique » sur « You S/A », un titre dont l’attaque à la guitare possède la même puissance basique et évidente d’un « Seven Nation Army » (écoutez, je ne sais pas si la comparaison est pertinente…). Et, bien sûr, il y a une chanson qui parle de football, l’autre grande passion de Douglas Germano. « Zeirô Zeirô » lui a été inspirée par une photographie d’Ivan Silva tirée de son projet Visão Periférica où il a promené son objectif dans les périphéries de São Paulo. C’est parce le défenseur à gauche de l’image porte le numéro 33 qu’il chante « Jesus, camisa 33 » dans le refrain !

Periferias de São Paulo – Jardim Fernandes

Douglas Germano n’en fait qu’à sa tête, c’est le prix qu’il attache à ses chansons et à la façon dont il choisit de les interpréter. C’est à prendre ou à laisser. Le morceau « Golpe de Vista » qui ouvre l’album et lui donne son titre est ainsi un véritable manifeste en forme d’inventaire ironique de ce qu’est son samba : « meu samba é um golpe de vista, termina onde quer começar » (« mon samba est un coup d’œil, il termine où il veut commencer« ). Œuvre d’une incroyable maturité, outre qu’il est un des meilleurs disques de l’année, Golpe de Vista devrait rien moins qu’installer Douglas Germano comme une référence majeure parmi les grands auteurs de la musique brésilienne.

En téléchargement gratuit sur le site de l’artiste.

 

2 réflexions sur “Douglas Germano et le côté gauche du samba

  1. Salut ! Je suis brésilien, j’étude le français et je viens de découvre votre site. Une découverte vraiment étonnante. J’étude le français et j’écoute des albums merveilleux, comme cet de Douglas Germano. Merci beaucoup pour votre travail.

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