Certains projets sortent de l’ordinaire par leur ambition, par les conditions de leur création, ou encore par les artistes impliqués dans leur réalisation. Ascenção, l’album de Serena Assumpção, répond à toutes ces conditions. Entourée d’une cinquantaine d’artistes majeurs, elle a voulu honorer les orixás, donnant les noms d’une douzaine d’entre eux aux titres des chansons de l’album. Mais, hélas, il répond aussi à une autre particularité qui distingue cet album : il sort à titre posthume, quelques mois après que Serena ait été emportée par une longue maladie.
Les orixás sont les divinités du candomblé et des nombreuses religions de matrice africaine présentes au Brésil. Alors même que l’intolérance religieuse connait une nouvelle progression, que les lieux de culte et les fidèles sont aujourd’hui persécutés par les fondamentalistes évangélistes comme ils l’étaient autrefois par l’Eglise catholique, ces orixás demeurent les piliers de la véritable infrastructure souterraine de la culture brésilienne. Leur consacrer un tel album est forcément un geste fort et ambitieux. C’est aussi un projet au long cours qu’a réalisé ici la fille aînée d’Itamar Assumpção. Cet album est le fruit d’un long travail, entamé depuis 2009, après des années de fréquentation du terreiro Ile De Oba De Dessemi à São Paulo, terreiro où elle a fait son initiation jusqu’à devenir vodunsi, fille de saint.
En 2011, alors qu’elle travaillait déjà sur l’album, Serena avait dû affronter un cancer du sein. La rémission ne fut pas complète puisqu’elle est décédée en mars dernier d’une nouvelle attaque de la maladie. Selon Anelis, sa sœur, l’album était pour elle un motif d’espérance et de guérison. De fait, malgré son lancement à titre posthume, elle a pu en diriger la réalisation jusqu’au bout. Entourée de DiPa et Pipo Pegoraro en charge de la production du disque, Serena a conçu et pensé le projet jusque dans ses moindres détails. Elle en est la véritable directrice artistique. C’est ainsi qu’elle a rassemblé autour d’elle la plus belle équipe d’interprètes que l’on puisse imaginer, de Curumin à Céu en passant par Metá Metá ! Le choix des interprètes de chaque chanson a été fait patiemment en fonction des personnalité et caractère propres à chaque orixá. DiPa, qui a accompagné tout le processus, se souvient : « parfois, on se réunissait deux fois rien que pour imaginer qui allait chanter, quel instrument serait utilisé ici ou là. Ce fut un vrai travail de fourmi« .
Un nom mérite également d’être mis à l’honneur, celui de Gilberto Martins, le compositeur de tous les morceaux du disque, à l’exception de ceux appartenant au domaine public. Gilberto « Giba » Martins n’est pas un musicien professionnel. Le jour, il est bibliothécaire mais le soir, il est ogã du terreiro Ile De Oba De Dessemi et ce sont ses chansons que l’on y chante… Celles que l’on retrouve ici, enregistrées et arrangées de façon plus contemporaine, loin du culte. C’est justement cette approche qui fait d’Ascensão une telle réussite. Il ne suffit pas d’évoquer des entités spirituelles pour trouver l’inspiration or, ici, chaque morceau est empreint d’une émotion particulière : écoutez « Oxum » interprété par Xênia França ou « Pavão » par Anelis et Curumin, pour ne citer que ceux-là…
Que l’album s’appelle Ascensão prend une connotation particulière quand on sait que Serena n’était plus là pour son lancement mais ce titre a été choisi par les buzios, le jeu divinatoire où l’on lance les cauris, et adopté par Serena. Entourée de ses nombreux amis, elle a signée une œuvre d’une grande beauté, à la fois spirituelle et émouvante, et rassemble toutes ces voix en un chœur qui disent les racines du Brésil et chantent la place des hommes dans le monde. Serena s’est investie dans cet hommage pour en faire sa mission. Mission accomplie.
Malheureusement, le disque n’est pas en téléchargement gratuit et n’est pas non plus disponible en streaming sur Soundcloud. On se reportera donc ici à son écoute sur YouTube en ayant à l’esprit les principaux interprètes de chaque chanson…
01. « Exu », Karina Buhr, Luê, Zé Celso
02. « Ogum », Serena Assumpção, Tatá Aeroplano, Tulipa Ruiz, Gustavo Souza, Alfredo « DJ Tudo » Bello
03. « Pavão », Anelis Assumpção, Curumin
04. « Oxumaré », Moreno Veloso, Mãeninha, Domenico Lancellotti
05. « Xango », Juçara Marçal, Serena Assumpção, Kiko Dinucci, Thiago França, Simone Sou
06. « Iansã », Serena Assumpção, Tetê Espindola, Simone Sou
07. « Oxum », Xênia França, Curumin
08. « Iemanjá », Céu, Serena Assumpção
09. « Iroko », Letieres Leite, Mariana Aydar, Gabi Guedes
10. « Nanã », Serena Assumpção, Paula Pretta, Simone Sou
11. « Obaluaiê », Filipe Catto, Marcelo Pretto, Juliana Kehl, Carlos Navas
12. « Oxalá », Serena Assumpção, Pipo Pegoraro
13. « Do Tata Nzambi », Source de Vie (chorale congolaise)