Cinéma/France

La Loi de la jungle, comédie hors-normes

De l’autre côté de la frontière brésilienne, passé le fleuve Oyapock, se trouve la France. Celle qui en pleine forêt amazonienne maintient son administration, délègue ses fonctionnaires et… exporte ses normes ISO. La Loi de la jungle, deuxième long-métrage d’Antonin Peretjatko, démonte par son humour ravageur un système à bout de souffle qui s’accroche à des rêves de grandeur et ne fonctionne plus que par la précarisation du travail : ici on est encore stagiaire à trente-cinq ans sans autres perspectives.

Ainsi Marc Châtaigne (Vincent Macaigne), stagiaire du Ministère de la Norme, est envoyé en Guyane pour superviser le projet Guyaneige, rien moins qu’une piste de ski couverte en plein cœur de la forêt amazonienne. Un projet absurde mais inspiré d’une réalité qui l’est tout autant. En effet, c’est le pont sur l’Oyapock qui a inspiré Antonin Peretjatko. Ce pont magnifique est né du projet de relier la France et le Brésil. Lancé par les Présidents Jacques Chirac et Fernando Henrique Cardoso, en signe d’amitié entre les deux pays, réalisé pendant les mandats de Nicolas Sarkozy et Lula, ce pont au budget pharaonesque n’est toujours pas en service cinq ans après l’achèvement des travaux. Côté brésilien, la route qui mène au pont n’est encore qu’une piste de terre. Et ne semble pas près d’être achevée. Il faut dire que, pour rouler côté français, les automobilistes seraient obligés de payer une assurance pour leur véhicule, facultative au Brésil : poids des normes quand tu nous tiens !

La Loi de la jungle

Après La Fille du 14 juillet (instantanément devenu un de mes films cultes personnels), Antonin Peretjatko revient avec une nouvelle comédie complètement dingue. Pour ce cinéphile, une comédie n’est pas juste un film de vannes. S’il explore plusieurs registres de comiques : de situation, absurde, burlesque, visuel, satire sociale et même érotique, il nous parle du monde tel qu’il va. « Une comédie qui ne parle pas de la société actuelle, c’est seulement une histoire drôle« , disait-il à Télérama. Il y a un risque, pour paraphraser Peretjatko : faire une comédie qui parlerait de la société actuelle mais qui ne serait pas drôle… Ce qui n’est pas le cas : La Loi de la jungle est drôle, très drôle ! Ici, il y a profusion d’idées, de trouvailles, de gags et il est impossible de prévoir la folie de la scène suivante.

Car, bien vite, on sort des sentiers balisés pour s’enfoncer dans la forêt en suivant les péripéties imposées au duo Châtaigne et Tarzan, un homme et une femme que tout oppose mais qui, bien sûr, vont finir par se trouver. Précision : Tarzan, c’est Vimala Pons. Après le rôle de Truquette dans La Fille du 14 juillet, où elle illuminait de sa présence le film, elle se voit offrir une composition plus étoffée mais qui nécessite de mouiller le maillot (pour quelques cascades sans doublure) ou le quitter (pour les quelques fameuses scènes sensuelles). Outre son tempérament comique, le charme du film c’est aussi elle, évidemment elle. Au point que Les Inrocks, récemment, se soient fendus d’un néologisme, le verbe « vimalaponser » pour décrire sa façon d’être à l’écran, verbe défini comme suit : « c’est être belle et vaillante comme Louise Brooks et Anna Karina, savoir tout faire (comme un clown) tout en restant sexy, c’est sembler tomber d’une autre planète. N’avoir peur de rien, manger des chenilles, conduire comme une folle, se balader dans les arbres, plonger dans des rapides et s’en relever fraîche et sauve. Entre Paulette Goddard et Katharine Hepburn. Aucune actrice actuelle ne l’égale en fantaisie. Gloire à elle !« . Si au générique le nom de Vincent Macaigne est précédé de « l’inénarrable« , Vimala Pons n’a besoin d’aucun attribut pour être unique.

Certains font la fine bouche devant le film et s’étonnent de l’enthousiasme de la critique qui, entre autres, repèrent les évidentes références aux Godard et Rozier sixties : une comédie d’auteur, c’est louche ! Manquerait plus que ces mêmes sceptiques me fassent l’éloge de Baby Sitting 2, autre comédie française récente plongée dans un bain de jungle : alors là, promis, je leur pondrai ici-même une analyse sur les valeurs véhiculées par ces deux films, ils seront pas déçus.

« Le problème quand on fait des films qui ne se prennent pas au sérieux, regrettait Antonin Peretjatko dans les Cahiers du Cinéma (juin 2016), c’est que le propos risque de ne pas être pris au sérieux non plus. Ce qui est ingrat, c’est que si le gag est raté, l’idée que veut transmettre le gag ne passe pas non plus. On a moins le droit à l’erreur par rapport au réalisme social« . En fait, vaillamment, Antonin Peretjatko mène un double combat : à l’encontre des auteurs qui se cantonnent au réalisme social ou au drame psychologique d’un côté, de l’autre à ceux pour qui la comédie ne consiste qu’à balancer platement quelques répliques bien senties. Un film pareil mériterait juste d’être une de ces grandes comédies populaires que l’on regardera longtemps avec ses enfants et petits enfants, pourtant les entrées en salle du film indiqueraient plutôt qu’en matière de comédies, on a du mal à sortir des boulevards.

Vous l’aurez compris, cette proximité avec le Brésil, là juste sur l’autre rive de l’Oyapock, n’est qu’un prétexte pour parler d’un coup de cœur. En tout cas, c’est super marrant ! Profitez vite des dernières séances sur grand écran avant de vous repassez le DVD en boucle pendant les longues soirées d’hiver !

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