Pour sortir deux albums simultanément, Iara Rennó a-t-elle plusieurs cordes à son arc ? Elle a, en tout cas, l’arc. Et la flèche. Puisque ces deux disques complémentaires s’appellent justement Arco et Flecha, « forces opposées complémentaires, jumeaux transgenres, créés en même temps dans le même ventre« .
Depuis l’aube de ce siècle, Iara Rennó aborde sa musique comme un geste artistique. D’abord avec Dona Zica, groupe féminin formé avec Anelis Assumpção et Andréia Dias, puis en solo. Cette enfant de la Vanguarda Paulista par la chair et l’esprit ne baisse pas la garde et poursuit les expérimentations de leurs aînés sans que les défis les plus fous lui fassent froid aux yeux. Iara a ainsi voulu faire un opéra de Macunaima, le roman monument national de Mario de Andrade ! Son Macunaima Opera Tupi est devenu un spectacle et un disque d’une incroyable richesse et diversité musicale.
Arco et Flecha sont deux disques jumeaux et complémentaires. Arco est féminin, enregistré en trio avec deux autres femmes Mariá Portugal (batterie et chant) et Maria Beraldo Bastos (clarinette basse et chant) quand Flecha est masculin, enregistré avec Curumin (batterie), Mauricio Badé (percussions), Lucas Martins (basse), et quelques membres de Bixiga 70, les souffleurs Daniel Gralha (trompette), Cuca Ferreira (saxophone) et Douglas Antunes (trombone) et Mauricio Fleury aux claviers.
Masculin/féminin, les choses ne sont pas aussi fermées que l’on pourrait l’imaginer. Sur Flecha, par exemple, on trouve cette très belle « Ciranda das Iyabás », chantée avec Ava Rocha et Mãenana, hommage aux orixás féminins. Flecha est forcément plus étoffé et varié musicalement qu’Arco, plus minimaliste par son instrumentation. Avec son sample d’Elza Soares, « Invento » est plein de groove quand « Querer Cantar » évoque Oxossi, l’orixá chasseur, inévitable sur un projet qui prend pour titres ses attributs, l’arc et la flèche. « Rosas e Socos » aurait pu être un boléro où Curumin double la voix d’Iara mais le moog entêtant et les percussions dénudent le morceau pour n’en garder que le squelette, d’autant plus beau.
Mais s’il y a un « tube » sur ce double album, c’est assurément sur Arco qu’on le trouve : « Mama-Me ». Un véritable hymne, un « manifesto mamaísta do movimento peitista« . À la différence de Macunaima où les mots n’étaient pas les siens, Iara Rennó a écrit ceux d’Arco et Flecha. Certaines paroles sont même des passages de son recueil de poésies érotiques Língua Brasa Carne Flor, paru l’an dernier, comme sur « Mama-Me », justement. Car la sexualité est aussi un des combats de Iara Rennó et « Arco est, explique-t-elle, par dessus tout, un cri pour l’empowerment et pour la libération sexuelle. C’est un disque pour la libération de la femme, pour sortir de ce préjugé et ce tabou, même si autant de gens voient des seins nus !« .
La légende disait que les Amazones, ce peuple de femmes guerrières des bords de la Mer Noire, se coupaient le sein droit pour mieux pouvoir tirer à l’arc. C’est même l’étymologie du mot amazone. Pour Iara, ce serait dommage. Le combat consiste plutôt à les montrer, les deux. Comme en témoigne ce très beau clip réalisé par Milena Correia.