Les jours de Dilma Rousseff à la présidence du Brésil semblent comptés. La procédure d’impeachment (destitution) qui la menace après le vote du Congrès n’est rien d’autre qu’un golpe (coup d’État) institutionnel. La démocratie est menacée. Au-delà de la crise politique, le pays est divisé au point que sa fracture sociale paraisse irréversible.
La vision du Brésil qu’ont les Français et même tout le reste du monde est souvent caricaturale et réduite à quelques clichés : football, plage et filles en bikini. C’est franchement navrant mais assez dérisoire en comparaison de la crise que connaît le Brésil à l’égard de sa propre représentation de lui-même et de ses mythes fondateurs. Les fortes tensions politiques qui secouent actuellement le pays en sont un révélateur impitoyable. Le Brésil se rêvait pays cordial, certes n’était qu’un mythe mais même le mythe s’est effondré face à l’ódio à visage découvert des manifestants anti-Dilma et anti-PT. Car c’est bien ce qui frappe le plus : la violence de ces sentiments, cette haine à l’égard de la gauche, des classes populaires, des homosexuels et de… enfin bref, de tout ce qui ne ressemble pas à ces conservateurs hystériques. L’an dernier, lors d’un séjour brésilien pour y donner quelques cours, le sociologue catalan Manuel Castells avait démonté ce mythe du pays cordial et sympathique : la société brésilienne a toujours été agressive et violente, disait-il, en particulier à l’égard des plus pauvres. Les manifestations de ces dernières années et les échanges sur les réseaux sociaux n’ont fait que tomber le masque.
Ces manifestations contre Dilma et le PT qui ont agité les grandes villes du pays depuis quelques mois ont donné lieu à des scènes stupéfiantes. Officiellement, les manifestants envahissaient les rues pour protester contre la corruption et le scandale Petrobras dans lequel certes étaient impliqués des proches du gouvernement de Dilma Rousseff, mais pas seulement. La corruption était surtout un prétexte pour déverser sa haine de classe. La Droite est dans la rue et elle explose de mépris, exhibe ses préjugés, sa mauvaise foi et ses mensonges éhontés. Revancharde, elle n’a jamais digéré que, sous les mandats présidentiels de Lula et Dilma, des millions de personnes soient sorties de la pauvreté, que les quotas permettent à des étudiants issus de familles modestes d’accéder à l’université, que certains de ces émergents puissent prendre l’avion et, pire que tout, à bord du même vol qu’eux. Ces gens bien nés n’avaient pas trouvé mieux comme uniforme de contestation que de revêtir la tunique jaune de la Seleção, la vraie, celle avec le swoosh de l’équipementier et le blason brodé de la C.B.F., la fédération de football, symbole indétrônable de la corruption érigée en essence d’un système ! Une sublime ironie qui aura pourtant échappé aux manifestants…
Les images de ces défilés étaient assez hallucinantes, entre nostalgie de la dictature militaire et inanité des réflexions, bornées à quelques salves d’insultes. L’élite brésilienne en colère a donné d’elle un portrait qui fait froid dans le dos.
Il n’y a peut-être que la caricature qui puisse refléter une réalité aussi violente. Parmi celles qui ont tendu un miroir sans fard à cette élite, certaines sont l’œuvre de Kiko Dinucci, musicien ayant plusieurs cordes à son arc. Hasard du calendrier, c’est avant de partir à Salvador en octobre 2014 que je découvrais les caricatures de sa série Classe Idade Media. Le trait est féroce mais les images sont un reflet malheureusement trop fidèle d’une réalité, celle de la haine des élites à l’égard des classes populaires. La haine, c’est un climat et un climat on le ressent, même quand on n’est que de passage, surtout quand ça se passe dans l’entre-deux tours des dernières élections présidentielles…
Dimanche, le vote des députés du Congrès (Chambre basse) pour ou contre l’impeachment ressemblait à une sinistre farce. Deux tiers des voix étaient nécessaires pour que la procédure suive son cours et qu’il revienne désormais au Sénat (Chambre haute) de prononcer la destitution de la Présidente Dilma Rousseff alors qu’elle n’est pourtant accusée d’aucun crime. Une sinistre farce où Eduardo Cunha présidait la séance, imperturbable, alors que lui, par contre, est impliqué dans plusieurs affaires de corruption et d’évasion fiscale. Un par un, les députés venaient dire leur vote. Et chacun d’y aller de sa dédicace. Ceux qui votaient oui, dédiaient le plus souvent leur vote à leurs enfants, petits-enfants, épouses ou maris, prénoms à l’appui, à l’amour de Dieu, dans un ballet pathétique à la courte vue. Nulle vision collective, aucun sens de l’intérêt général… Puis, ce fut au tour de Jair Bolsonaro d’aller voter (pour situer le bonhomme, Bolsonaro, c’est le type qui disait qu’il préfèrerait voir son fils mort plutôt que pédé). Si la scène avait été de fiction, elle aurait été jugé peu crédible : il poussa l’infamie jusqu’à dédier son vote au colonel Ustra, bourreau tristement célèbre du temps de la dictature militaire, celui-là même qui tortura la jeune Dilma !
Une pétition circule pour demander la cassation du mandat de Jair Bolsonaro. Défendre la démocratie, c’est aussi lutter contre ceux qui font l’apologie de la dictature !
Pour signer la pétition : Cassação do mandato do deputado Jair Bolsonaro