L’album Os Afro-Sambas a cinquante ans. Enregistré en quatre petits jours au mois de janvier 1966, il fut lancé le mois suivant. Nous ne pouvions manquer de revenir sur ce chef d’œuvre inspiré en même temps que profiter de l’occasion pour éclaircir les raisons qui nous ont incités à choisir ce même nom pour le blog. Aors que la notion d’afro-samba elle-même est un pur pléonasme…
Os Afro-Sambas est le plus beau fruit de la rencontre entre Baden Powell et Vinícius de Moraes. Nous avons déjà consacré deux articles à cet album, le premier placé du point de vue de Baden, l’autre de Vinícius. C’était en 2010, à l’occasion des trente ans de la mort de Vinícius et des dix ans de celle de Baden. (À l’époque, les articles ont été publiés sur L’Elixir du Dr. Funkathus puisque Afro-Sambas.fr ne devait voir le jour qu’en 2012).
« Célébration de Vinícius et ses Afro-Sambas »
« Quand Baden Powell a cessé de chanter les Afro-Sambas »
L’histoire des Afro-Sambas de Baden et Vinícius est entrée dans la légende de la musique brésilienne. Au début des années soixante, les deux hommes avaient été mutuellement fascinés par les musiques de candomblé. À l’origine de cette passion naissante, un homme, le compositeur bahianais Carlos Coqueijo qui avait offert le disque Sambas de Roda e Candomblés da Bahia à Vinícius et qui entraîna Baden à fréquenter les terreiros et rodas de capoeira de Bahia. Forts de ces découvertes et fascination communes, en 1963 les deux hommes s’enfermèrent dans l’appartement de Vinícius pour composer, leur créativité irriguée par des litres et des litres de whisky Haig & Haig, comme le veut l’anecdote.
Pour eux, les choses étaient claires, si leur inspiration était aussi spirituelle et qu’elles évoquent les orixás Exu, Ossanha ou Xangô, leurs chansons n’étaient en rien religieuses. Ici comme toujours, l’amour restait le sujet de prédilection de Vinícius et, certes, l’ambiance du disque lui conféra certainement un petit supplément d’âme. Dans cette exploration des racines africaines du Brésil, Vinícius trouvait l’aplomb de se déclarer « le Blanc le plus noir du Brésil« . Sans remettre en cause sa sincérité, il devait se faire un malin plaisir à le fanfaronner dans les salons de la bonne société carioca, petite provocation destinée à choquer le bourgeois. La fascination de Baden pour ces musiques demeurait avant tout esthétique alors qu’à la même époque, il étudiait les chants grégoriens et ne pouvait s’empêcher d’y voir des similitudes.
L’album sortira trois ans plus tard. Enregistré de façon « rustique ». Selon Guerra Peixe, responsable de sa production, l’idée était de conserver la spontanéité et donner l’impression que l’enregistrement avait été réalisé au cœur même d’un terreiro. Un choix radical pour un maestro parfois décrit comme le « Bartok brésilien ». Les souvenirs de Baden Powell sont plus réservés : « l’enregistrement a eu lieu un jour de déluge inoubliable. La pluie avait inondé le studio. Je chantais et on jouait installés sur quelques caisses de bières et de whisky qu’on avait vidées depuis un bon moment. Nous étions très inspirés mais aussi bien ivres. Plus très professionnels en fait« . Ce qui l’incita à enregistrer, après la mort de Vinícius, une nouvelle version des Afro-Sambas, plus professionnelle certes mais sans âme…
Si ce n’est pas le titre de travail, à sa sortie, l’album s’appelle Os Afro-Sambas. Un très beau titre, certes, mais surtout un pléonasme. Existeraient-ils des sambas qui ne soient pas afro ?
L’éloquence du pléonasme
On dit que le titre de l’album a été inspiré par celui de Duke Ellington Afro Bossa, lancé quelques années plus tôt, en 1963. S’il n’avait pas déjà été pris, ce titre aurait peut-être été plus pertinent pour décrire le travail de Baden et Vinícius car, clairement, la bossa n’est pas afro. Tandis que les chansons de l’album, elles, oui. Elles ont selon Baden ce côté sombre de l’afro, le lamento. Os Afro-Bossas, ça aurait eu du sens…
Pourtant, on ne peut pas soupçonner ces deux artistes de méconnaître leur histoire et d’ignorer que celle du samba est profondément liée à un héritage afro. Le choix du titre Os Afro-Sambas est donc réfléchi. Afro-samba est un pléonasme… volontaire. Ce titre dit quelque chose d’important. Afro-samba, ce n’est pas « monter en haut » ou « descendre en bas », ici le pléonasme est une figure de style qui vient préciser le sens.
Depuis les fêtes des tias baianas des environs de la Praça Onze à Rio, à l’aube du XXe siècle, le samba a parcouru du chemin, il est passé do moro ao asfalto. Il est descendu des favelas pour conquérir la bohème puis être diffusé à la radio. Cette diffusion du samba s’accompagne inévitablement de son affadissement, de sa desafricanização. On l’enregistre comme on enregistre alors n’importe quelle musique populaire : sous la conduite d’un de ces maestros qui lui ajoute un orchestre de cordes parce qu’il n’imagine pas faire autrement. C’est cette « l’obsession de l’harmonie » que déplore Kiko Dinucci*, une injonction normative qui sévit alors sur tous les continents. Face à cette contamination orchestrale, on en vient à bénir les exceptions, ceux qui se sont émancipés de ce carcan comme Dorival Caymmi quand il part en mode voz e violão (ou quand Jean Sablon enregistre quelques plages en trio jazz avec Django Reinhardt)…
Ainsi la redondance de ce titre, Os Afro-Sambas, cache-t-elle probablement la réaffirmation des propres racines du genre. Baden et Vinícius ne pouvaient pas être dupes de l’amnésie qui touchait une partie du pays quant à son héritage africain, amnésie à laquelle ce mêlait le racisme intrinsèque de la société brésilienne post-esclavagisme.
Cinquante ans plus tard, rien n’a changé, semble-t-il, et cette petite précision demeure utile. Ce qui nous amène au choix de ce nom de blog, Afro-Sambas.fr. Il y manque sur la page d’accueil une case « À Propos » pour expliquer le projet et son ambition. En 2012, j’avais commencé à rédiger un petit texte de présentation que j’ai retrouvé ces jours-ci, encore à l’état de brouillon mais bizarrement en ligne quelque part :
Les Afro-Sambas vont vous faire découvrir les musiques brésiliennes d’hier et d’aujourd’hui, les racines et les fruits. Un pléonasme, voilà ce que sont les afro-sambas ! Car le samba est évidemment afro !
Pour autant, nous ne considèrerons pas l‘afro-samba comme un genre spécifique de musique brésilienne mais plutôt comme la matrice de très nombreux styles.
Il faudrait que je me décide un jour à finir ce texte de présentation mais l’essentiel est là. Alors, pourquoi Afro-Sambas.fr ? Parce que personnellement j’ai toujours trouvé que rien n’était plus beau dans les cultures brésiliennes que celles qui expriment cet héritage afro. Et parce que le pléonasme demeure une précision hélas nécessaire…
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* Dans son article « Caminhos da Polifonia Contemporânea », Kiko Dinucci revisite près d’un siècle de musique populaire à l’aune de son rapport à la polyphonie, une lecture passionnante.
intéressant !