Les formations instrumentales brésiliennes n’ont qu’à bien se tenir car c’est de Paris que vient la nouvelle sensation funky en matière de rythmes brésiliens : le Camarão Orkestra vient de lancer son premier véritable album. Une sacrée révélation !
En choisissant la crevette pour emblème, nos Parigots font montre de modestie et d’un sacré sens de l’autodérision. En effet, il s’agit d’un clin d’œil à cette manie brésilienne d’appeler « crevettes » les touristes facilement repérables quand ils souffrent d’un bon coup de soleil. Mais, à la différence des crevettes qui cuisent et rosissent en quelques instants dans la cocotte, le Camarão Orkestra a laissé mijoté très longuement sa mixture bien assaisonnée. Le groupe s’est fondé en 2008 et ne sort qu’aujourd’hui son véritable premier album. Soit huit ans de gestation à feu doux, le temps que sa musique exhale tout son arôme et ses saveurs. Huit ans, pas vraiment un truc de touristes, on l’aura compris…
À vrai dire, le Camarão Orkestra n’est pas simplement un groupe instrumental et n’est pas non plus que franco-français puisque Amanda Roldan et Agathe Iracema, deux chanteuses d’origines brésiliennes sont invitées sur quelques titres. Pourtant, ce n’est pas leur faire injure de souligner que l’intérêt du projet se situe ailleurs que dans les voix. À l’origine, Paul Bouclier. Pour l’instant, il est plus connu pour Akalé Wubé avec qui il revisite la musique éthiopienne de son éphémère âge d’or que pour le Camarão Orkestra mais cela pourrait changer tant l’équipage embarqué est inspiré. Autour de lui et sa trompette, Benoit Giffard (trombone), Thibaud Duquesnay (alto-saxophone), Olivier Zanot (saxophone ténor), Farid Baha (guitare), Florian Pellissier (claviers) ou Virgile Raffaelli (basse), des pointures locales du jazz qui ont déjà accompagné rien moins que Didier Lockwood, Dee Dee Bridgewater, Joe Bataan et quelques autres.
Tout cela serait bien beau mais manquerait d’aplomb si la rythmique n’était pas à la hauteur, élément si déterminant pour jouer de la musique brésilienne. Ici, le choix de Stéphanie Valentin, Claude Cuzon et Erwan Loeffel, soit trois percussionnistes plutôt qu’un batteur, permet d’avoir une base à la fois solide et variée qui régale de tambours atabaques, caxixis, cuica et autre berimbau. Tout part de cette assise et les morceaux eux-mêmes semblent bâtis à partir de leur rythme, qu’il soit afoxé, samba ou maracatu.
La plupart des titres au répertoire de l’album sont des compositions originales, s’y ajoutent deux reprises : « Berimbau », le standard de Baden Powell et Vinícius de Moraes, et « Arrastão », d’Edu Lobo. Des références bien choisies à Glauber Rocha (« Baravento ») et Airto Moreira dessinent les contours d’un Brésil imaginaire de bon goût et surtout bien digéré (pour ne pas dire antropophagisé) par les musiciens. Ce Brésil-là est celui des 70’s, funky, jazzy, où les wah-wah, Rhodes et clavinet devraient combler les puristes de ce son chaleureux. En tout cas, avec eux, vingt ans après le Prawns* du Big Cheese All Stars, la crevette est en passe de devenir l’emblème définitif du groove made in Paname.
Cohésion d’ensemble et solos bien sentis font de ce premier album un projet déjà très abouti. Déjà repérées par Gilles Peterson, le Camarão Orkestra a tous les atouts pour voyager loin…
Au Brésil, le dernier verre pour la route s’appelle la saidera. C’est aussi un des titres de l’album, bizarrement le premier. Mais sachez tout de même que la saidera elle-même peut se répéter et qu’après il reste encore la última, l’expulsadeira, la derradeira ou la dejair. Et qu’à Bahia, on peut encore y ajouter la se-pique. C’est un peu l’effet du Camarão Orkestra, l’album semble toujours trop court et donne envie d’y replonger, se ré-écouter un titre pour la route et ainsi de suite. En boucle…
En guise de dejair (pour de já ir embora) et histoire de découvrir les musiciens à l’œuvre en attendant une tournée, voici le making-of de l’album…
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* Qui se souvient de l’orgiaque fresque signée Lazoo pour l’album en version gatefold ? Une mythique assemblée de crevettes débauchées !