S’il est lui aussi un « MC d’attaque, authentique et pas en toc« *, BNegão occupe une place à part. Tant par le propos que par son aplomb, il en impose sans forcer. Transmutação, son nouvel album, avec les Seletores de Frequência, déborde du cadre des réalités sociales pour évoquer un enjeu majeur, rien moins que le devenir de notre planète…
Les premiers mots de l’album : « Aqui estamos neste planeta, neste momento« . Alors que la COP21 va se terminer sans que rien ne change, parce qu’on ne voudra rien imposer de trop contraignant, BNegão nous dit que cette transmutação est la condition de notre survie.
BNegão, Bernardo Santos de son vrai nom, est un pilier. Son parcours depuis vingt ans l’a vu passer de Planet Hemp, le groupe séminal des années quatre-vingt-dix qui pratiquait la fusion du rap et du rock pour chanter les louanges du cannabis, aux Funk Fuckers, avant de se lancer en solo accompagné des fidèles Seletores de Frequência, sans oublier des dizaines de collaborations les plus diverses et variés.
Si neuf ans se sont écoulés entre la sortie de Enxugando Gelo, leur premier album en 2003, et Sintoniza Lá, le deuxième en 2012, il n’en fallut que trois pour accoucher de Transmutação. Toujours avec les Seletores da Frequência, c’est-à-dire Pedro Selector (trompette), Fábio Kalunga (basse), Robson Riva (batterie) et Fabiana Moreno (guitare), toujours plus affutés et d’une rare cohésion. Leur projet était d’ailleurs de sortir un disque instrumental mais la possibilité d’enregistrer un nouvel album grâce au mécénat de Natura Musica les incita à en différer l’enregistrement pour se concentrer sur celui-ci et le réaliser dans l’urgence… Une contrainte qui libère autant la spontanéité qu’elle élimine la tendance à la procrastination de BNegão !
Si son parcours l’associe à toutes ces musiques de bringue que sont le rap, le punk ou le reggae, BNegão a toujours eu la fibre militante. Fils d’un activiste opposant à la dictature militaire, il n’a jamais conçu la musique autrement que comme un instrument de changement. Avec ce nouvel album, il affirme que cette mudança, ce changement, doit venir de l’intérieur : « la vraie révolution est celle qui part de l’intérieur vers le dehors, pas celle qui va du dehors vers l’intérieur » (sur « No Momento (100 %) »). Pour guider ce cheminement intime, BNegão avoue être profondément influencé par le yoga, d’un point de vue théorique, ou philosophique du moins. Pour la pratique, ça se complique… Il reconnaît volontiers que s’il en faisait quotidiennement, il ne serait pas si gros : « le yoga unit le corps et l’esprit pour que l’on puisse faire ce chemin d’évolution. Le jour où je serai passé à la pratique physique, vous verrez mon corps transformé !« . En attendant, cela fait longtemps qu’il considère Yogananda et Hermógenes, ce dernier qui contribua grandement au développement du yoga brésilien, comme ses maîtres spirituels. Comme Hermógenes, il se décrit comme fondamentalement œcuméniste et universaliste.
La musique de BNegão a donc pour vocation de rassembler plutôt que de diviser, elle combine les influences en ce sens… À la différence des deux précédents disques, celui-ci offre une place majeure aux percussions. « La seule chose que je savais à propos de mon prochain disque, raconte-t-il, c’est que je voulais mettre le tambour en avant, que ce soit lui qui commande la situation. On a réussi et, à partir de maintenant, il en sera toujours ainsi« .
Transmutação est le disque le plus abouti de BNegão & Seletores de Frequência. Hormis un titre rescapé du projet d’album instrumental, « Surfin’ Astatke » qui, comme son nom l’indique, tente de combiner guitare surf et éthio-jazz mais manque singulièrement de finesse, ou une reprise énervée du « Fita Amarela » de Noel Rosa, l’album est porté par des morceaux excellents : « Dias de Serpente », ou « No Momento (100 %) », ou encore « No Ar », réalisé avec Maga Bo, pour ne citer que ceux-là.
Plus que jamais, sur ce Transmutação, BNegão dégage une force tranquille. Il n’a jamais besoin d’élever la voix, il se pose avec un aplomb incroyable et parvient même à être convaincant quand il nous exhorte à sortir du cercle vicieux de l’ouroboros, ce serpent qui se mord la queue, et accomplir notre transmutation et, peut-être, survivre sur notre planète.
L’album est en téléchargement gratuit, ainsi que les deux premiers de BNegão & Seletores de Frequência sur leur site…
Transmutação (2015)
* MC Solaar, « Qui sème le vent récolte le tempo »