La géographie chez Rodrigo Campos est une carte des songes qui guide l’itinéraire de l’artiste, de lieux imaginaires en décors fantasmés, à la rencontre des personnages de ses chansons : Toshiro, Katsumi ou Takeshi. Conversas com Toshiro, son troisième album, est évidemment inspiré par le Japon mais il confirme surtout le style propre de son auteur et son tempérament rêveur.
Le lointain ou le proche sont des notions toutes relatives chez Rodrigo Campos, autant que l’ici et l’ailleurs. Son premier album s’intitulait São Mateus Não é Um Lugar Assim Tão Longe pour dire que cette lointaine banlieue de São Paulo dont il est originaire (et qu’il avait alors déjà quitté) était finalement plus proche qu’on ne le croit. Quant à la Bahia de son deuxième album, c’est bien le bout du monde s’il passa une semaine à Itapoã pour nourrir son imagination. Et pourtant, il voyage, Rodrigo. Immobile, mais il voyage. Le précédent album était sous le signe de l’eau, celui-ci de l’air : l’eau et les rêves, l’air et les songes, dirait Bachelard…
Que São Paulo compte la plus grosse population d’origine japonaise hors de l’archipel n’a probablement eu aucune incidence sur la création de l’album de Rodrigo Campos. Son Japon est celui des images en noir et blanc des vieux films et des mangas pour adultes ou celui d’un paysage éternel figé dans le brouillard, un Japon qui ne serait qu’un pur cliché s’il n’était investi si personnellement par Rodrigo Campos pour en faire la toile de ses propres fantasmes. Conversas com Toshiro se divise en deux parties, Amor e Brutalidade et Paisagem na Neblina, où Rodrigo Campos cultive son art de la concision. Par son écriture lapidaire, ses paroles épousent la forme du haïku comme une évidence involontaire.
Une embrassade d’Ozu perdu dans l’espace, la légèreté d’un oiseau, Katsumi qui n’a pas de poils pubiens mais un tatouage de papillon au creux de la jambe, le rouge sang de la chair, Takeshi et Asayo, vieux couple perdu dans le bruit du monde, Funatsu le roi lâche à demi animal, Wong Kar-Wai qui n’est certes pas japonais mais un « Jonas avant la baleine« … La musicalité des prénoms japonais suffit à Rodrigo Campos pour instaurer une ambiance et disent ses références, de Kurosawa à Miyazaki, d’un hentai feuilleté en cachette à la grande vague d’Hokusai… Tout est au premier degré et tout semble un songe…
La douceur de Rodrigo Campos est trompeuse, le chant se fait murmure pour mieux dire des horreurs, l’obsession de la mort sur Bahia Fantástica, son précédent album, ou la cruauté au détour d’une phrase ici (« minha carne é pra tua faca » : « ma chair chair est offerte à ton couteau« , par exemple). Il trouve encore dans le samba la matrice de ses chansons (« Chihiro », ou « Dono da Bateria » pour clore l’album tout seul à la guitare) mais donne une couleur très personnelle à ce Conversas com Toshiro.
Comme Bahia Fantástica, celui-ci est un formidablement joué et orchestré. Pour l’accompagner, Marcelo Cabral est plus essentiel que jamais, sa basse est si bien plantée que ses lignes sont les branches sur lesquelles tout le morceau s’accroche pour grimper puis parvenir flotter, évanescent et rêveur. Curumin, métis d’origine japonaise (Nakata de son vrai nom), est toujours aussi fluide et léger, le batteur idéal pour servir un tel projet. Thiago França tutoie les cimes de sa flûte et tempête un vent hurlant de son saxophone. Sur la deuxième partie de l’album, un vibraphone et des cordes ajoutent un souffle orchestral qui dramatise à bon escient le propos. Surtout, la meilleure idée du disque est d’avoir invité Juçara Marçal et Ná Ozzetti et de confier à leurs voix formidables la tâche d’évoquer les chants traditionnels, sans jamais essayer pourtant de leur ressembler. Leurs vocalises sans paroles virevoltent autour de la voix de Rodrigo et contribuent à faire de Conversas com Toshiro une œuvre résolument originale qui ne ressemble qu’à elle-même et à son auteur…
Le disque est en téléchargement gratuit sur le site de Rodrigo Campos ou en suivant le lien officiel ci-dessous :
Rodrigo Campos, Conversas com Toshiro (2015)