Diplômé de philosophie, polyglotte, adepte du candomblé, originaire de Bahia, Tiganá Santana est un jeune homme d’une étonnante maturité qui n’a de cesse de creuser vers ses racines africaines.
Son troisième album Tempo & Magma est divisé en deux disques. Sa musique est intimiste et sa quête commence par l’introspection. C’est la condition, dit-il, pour atteindre les origines. Le premier disque de cet album, enregistré à Dakar pour un label suédois (Ajabu!), s’intitule donc Interior. Quand le second, Anterior, s’ouvre aux musiciens qui l’accompagnent (ngoni, riti, balafon, toxoro...) pour évoquer une Afrique mythique aux fortes couleurs mandingues.
C’est avec une rare profondeur que Tiganá Santana envisage sa musique. Un sérieux qui serait intimidant si sa musique n’était pas d’une si envoûtante douceur. Il développe un langage propre qui passe par les langues. Et parce que l’Afrique est une matrice qui fonde sa propre culture de jeune homme, noir et bahianais, il ne se contente pas de glisser quelques mots en yoruba dans ses textes, comme la plupart de ses compatriotes, il chante en wolof, kibundo, mandika ou kikongo. Il est d’ailleurs le premier musicien brésilien à composer dans ces langues africaines.
Du kikongo, il a commencé l’apprentissage dès l’enfance en accompagnant sa mère, militante du Movimento Negro de Salvador. « Mon intérêt pour les idiomes africains, explique-t-il, est primordial parce que je suis du Candomblé nação Angola où les langues bantoues, en particulier le kibundo, le kikongo et l’umbundo, sont présentes, mais aussi parce qu’il y a une présence de ces langues dans le lexique luso-brésilien. Mais je m’y intéressais déjà bien avant. Ma mère fréquentait le premier cours de kikongo de Bahia et, dès l’enfance, je l’y accompagnais. Par la suite, adolescent, j’ai continué à m’intéresser et à étudier ces idiomes matriciels, de même que d’autres langues occidentales, car il y avait l’idée que je fasse des études diplomatiques à Itamaraty« .
En français, il est auteur du poétique « Le Mali chez la Carte Invisible » que l’on a récemment pu entendre interprété par Jurema, sur son album Mestiça l’an dernier, et Fabiana Cozza sur Partir, cette année. Les services de Tiganá sont très sollicités, que ce soit comme compositeur, interprète ou producteur. Il vient ainsi de produire Mama Kalunga, le nouvel album de Virgínia Rodrigues.
Issu d’une résidence artistique à Dakar dans le cadre d’un programme de l’UNESCO, au contact de musiciens africains, Tempo & Magma permet à Tiganá Santana d’ancrer une réflexion où le temps « est connecté aux origines, que le magma est la configuration première de la Terre alors qu’il demeure neuf, sans forme établie tandis que le temps est l’artiste qui va construire de nouvelles formes et expressions« .
Des deux faces de ce double album, réalisé en collaboration avec les contrebassiste et percussionniste suédois Andreas Ungs et Sebastian Notini, on préfèrera Interior, plus dépouillée et personnelle. Outre une participation remarquée de Céu sur deux titres, les instruments traditionnels et son violão-tambor (une guitare à cinq cordes), rien ne nous distrait de l’essentiel et de la douce gravité de ses chansons. À rebrousse-poil des modes et des clichés, c’est dans un murmure que Tiganá Santana grave son empreinte résolument originale.