Non, ce n’est pas un départ, c’est une présence. Pourquoi alors Partir ? Curieux titre pour son cinquième album (le quatrième en studio) tant Fabiana Cozza s’affirme toujours davantage comme une grande dame du samba, une des artistes majeures du genre qui, chaque fois, semble s’enraciner plus profond dans l’exploration de ses racines afro-brésiliennes. Pourquoi Partir ? Justement pour aller de São Paulo vers Bahia, ou plus loin encore vers l’Afrique…
Bahia a toujours été un repère pour cette Paulista. Dans le choix de son répertoire mais aussi par son engagement spirituel, de là ce besoin de se tendre vers l’autre rive atlantique, vers l’Afrique. Point n’est besoin de chercher loin pour la trouver : « l’Afrique est dans nos enfants et le monde au dehors« , chante-t-elle en français sur « Le Mali chez la Carte Invisible », un des deux titres de l’album (avec « Mama Kalunga ») signés par Tiganá Santana. « Je suis chaque fois plus proche de l’Afrique, dit-elle. Pas seulement par choix artistique mais pour une question d’âme, de vie, de survie, d’urgence à comprendre mon âme noire, mon origine et mon rôle ici, sans la moindre démagogie. Je suis quelqu’un qui cherche« . Et ce qu’elle trouve de l’Afrique dans son pays, comme elle le chante dans « Chicala », écrit et composé par João Cavalcanti, est rien moins que l’or de l’âme brésilienne, « o ouro da alma brasileira« .
Pour ce voyage, c’est tout naturellement vers les compositeurs bahianais que Fabiana Cozza se tourne. Si elle ne chante pas cette fois-ci de chansons de Roque Ferreira, outre Tiganá Santana, cinq compositions de Roberto Mendes figurent parmi les quatorze morceaux de l’album, tandis que Vicente Barreto, sur des paroles de Paul César Pinheiro, est l’auteur de « Roda de Capoeira ».
Originaire, comme Caetano et la famille Veloso, de Santo Amaro da Purificação, Roberto Mendes s’est dédié à la préservation de la chula et du samba de roda, styles traditionnels du Recôncavo bahianais et qui imprègnent profondément son travail de composition. Cela fait quelques années que Fabiana Cozza et lui sont amis. En 2011, à São Paulo, ils avaient consacré un spectacle à la chula, seuls sur scène. Il avait été son « professeur » et ces représentations portaient déjà en germe le projet de Partir puisque que son répertoire comportait déjà trois des chansons de Roberto Mendes qu’elle a enregistré pour son album : « Orixá », « Seu Moço » et « Não Pedi ». Cette dernière est une façon légère d’aborder les relations amoureuses, tandis que « Seu Moço » conclut l’album d’un allant festif à la façon d’un pot-pourri mêlant quelques refrains traditionnels du samba de roda à la composition originale de Roberto Mendes. Mais c’est « Orixá », dédié à Mãe Stella de Oxossi, ialorixá du terreiro Ilê Axé Opô Afonjá, une des dignitaires les plus respectées du candomblé, qui définit de la plus belle manière la conviction de Fabiana Cozza, portée par les paroles de Jorge Portugal : « Meu orixá (…) / Meu abismo racional / Meu não ser ocidental / Minha rocha de firmeza / Diferente, tugo igual / Além do Bem e do Mal / Mora em mim / Tua Beleza« .
Partir bénéficie d’une production discrète et élégante de Swami Jr, excellent guitariste, qui confectionne l’écrin idéal pour que la voix de Fabiana Cozza donne toute son amplitude. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. On pourra louer le choix du répertoire, la profondeur des thèmes mais c’est sa voix qui transcende le tout. Il faut écouter Fabiana Cozza chanter « Entre o mangue e o mar » (de Alzira E et Arruda) pour comprendre que lyrisme et retenue peuvent aller de pair. Comme s’en enthousiasme Roberto Mendes, Fabiana est plus qu’une chanteuse, c’est une interprète : « le Brésil manque d’interprétation. Il y a des chanteuses mais pas d’interprètes complètes. Fabiana est une grande interprète. D’une justesse incroyable. Elle chante avec douceur quand il le faut et avec fermeté quand il le faut. J’ai été très ému et fier d’entendre ma musique jouée avec une telle implication« . Fabiana Cozza s’est trouvée une autre admiratrice de choix : Maria Bethânia. Elle a même écrit un texte pour le livret de l’album en forme de beau compliment : « J’aime sentir la lune et la bruine qui habitent ta voix chantant la musique de ma terre, celle où les févriers sont de fête et de lumière, et les juins de fumée et de froid. Brava !« , qu’elle signe « ta fan« …
Il fut un temps où on disait qu’elle était la plus belle représentante du samba de São Paulo. Le costume est bien trop étroit pour elle aujourd’hui. Fabiana Cozza est tout simplement une des plus grandes interprètes de son pays, sans restriction de genre et, bien qu’elle soit encore jeune, on voudrait déjà l’appeler Dona Fabiana en signe de respect.
Fabiana Cozza était à Paris au mois de juillet pour des concerts et cours de chant. Il ne reste plus qu’à y distribuer Partir car c’est véritablement un des plus beaux disques de l’année.
Rappelons, pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur Fabiana Cozza que nous l’avions interviewée en 2011…