Bahia/Disques/Portrait

As Ganhadeiras de Itapuã, du « temps de la baleine » à aujourd’hui

Gagnantes de deux trophées au dernier Prêmio da Música Brasileira (Meilleur Album et Meilleur Groupe dans la catégorie Regional), As Ganhadeiras de Itapuã méritaient bien qu’on présente leur projet dont l’ambition, plus encore que la musique, est de rappeler la place prépondérante qu’occupaient les femmes dans la société traditionnelle et l’économie populaire bahianaises.

As Ganhadeiras de Itapuã

Situé une trentaine de kilomètres au nord de Salvador, Itapuã a longtemps été un petit village de pêcheurs. Jusqu’aux années 1930, aucune route ne le reliait à la capitale. Aujourd’hui, s’il y demeure des pêcheurs, Itapuã n’est plus ce petit village, c’est déjà la grande ville, collée à Salvador et ses trois millions d’habitants. Autrefois, des femmes achetaient le poisson aux pêcheurs quand ils revenaient de mer. Elles le préparaient, en le salant ou en le grillant, puis le mettaient dans de grands paniers qu’elles portaient sur la tête pour aller le vendre jusqu’à Salvador. On les appelait les ganhadeiras.

Ne serait-ce que par la présence des Baianas qui vendent l’acarajé, la place des femmes dans le petit commerce de rue à Bahia est aujourd’hui encore une réalité qui saute aux yeux. À l’époque coloniale, pendant la période de l’esclavage, certaines femmes et notamment des femmes noires, avaient déjà établi une activité marchande. On les appelait ganhadeiras, escravas de ganho (si elles étaient encore esclaves) ou negras de tabuleiro.

Tania Risério d’Almeida Gandon, dans « L’itinéraire de la ganhadeira dans la culture bahianaise », un article inspiré de sa thèse, souligne combien à Itapuã ces femmes avaient pu acquérir une position sociale plus haute que les hommes, notamment pendant « le temps de la baleine », âge d’or local. « Les ganhadeiras étaient souvent plus riches que les hommes, car elles disposaient d’argent liquide, alors très rare dans le village ».

Le « temps de la baleine » désigne une époque qui court jusqu’au début des années 1920, quand la viande de baleine préparée par les femmes d’Itapoã était un met apprécié dans la capitale et faisait leur réputation. Par la suite, après que l’on ait cessé de consommer la viande de baleine, la concurrence des poissonniers , de leurs camions et les moyens de conservation du poisson mirent un coup sévère à leur commerce.

Hormis la vente du poisson, les femmes d’Itapoã ont continué à développer des activités de commerce pour accroître les revenus familiaux. Par exemple, en se consacrant à la fabrication de la farine de manioc, très présent dans la cuisine bahianaise, puis en préparant les dérivés du manioc (tapioca, beijus…). Ou encore, en lavant le linge dans la lagune d’Abaété.

Le collectif des Ganhadeiras d’Itapoã s’est constitué il y a une dizaine d’années. D’abord de façon informelle, simplement conviviale, chez Dona Cabocla et Dona Mariinha, pour évoquer ces figures de femmes indépendantes. Avec leurs colliers, les grandes jupes et les foulards faits de chita, les Ganhadeiras d’aujourd’hui font revivre cet héritage et affirment fièrement leur culture afro-brésilienne.

ganhadeiras

Les représentations scéniques ont suivi, puis enfin un album, sorti l’an dernier. Elles y reprennent évidemment Dorival Caymmi. Car c’est à Itapoã que celui-ci, en y côtoyant les hommes de la mer, a trouvé l’inspiration pour composer ses Canções Praieiras. Le village a également été immortalisé par la chanson de Vinícius de Moraes et Toquinho, « Tarde em Itapuã ». Dorival a désormais une place et une avenue à son nom à Itapuã, Vinícius y a sa statue. Sur « Passado e Presente », les Ganhadeiras rendent hommage aux deux : « Itapuã de Dorival e Vinicius, dos Baianos e do acarajé » !

Bien sûr, le répertoire compte quelques sambas de roda, typiquement bahianais, également quelques cantigas. Si le chant de ces femmes, jeunes et vieilles, reste proche de l’esprit populaire de ce répertoire, l’accompagnement et les arrangements dirigés par Amadeu Alves, sont hélas un peu trop « propres » et impersonnels, folkloriques, c’est-à-dire sans le côté brut et les aspérités d’une musique traditionnelle. Même si on n’y retrouve pas la force de Dona Edith do Prato, ni la puissance du chant de Mariene de Castro, invitée ici sur un titre, cet album devrait vous combler si vous aimez les musiques de Bahia.

Enfin, soulignons qu’un tel projet culturel profondément ancré dans la spiritualité afro-brésilienne est quasiment une œuvre de salubrité publique, à l’heure où une fillette de onze ans se fait caillasser par des évangéliques simplement parce qu’elle sort d’un terreiro de candomblé !

J’ai ramené le CD de mon dernier voyage à Salvador, j’attendais une occasion propice pour l’évoquer, la voilà. Vous pouvez découvrir les Ganhadeiras de Itapoã dans le petit documentaire ci-dessous…

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