C’est l’histoire d’un jeune homme aujourd’hui quadragénaire dont le retour à sa ville natale a inspiré un album profondément marqué par l’enfance, entre ses souvenirs et les berceuses qu’il joue pour ses enfants. Avant ce Coisa Boa bien nommé, Moreno Veloso n’avait encore jamais sorti d’album sous son nom mais ne semblait pas non plus très pressé de le faire…
Si le déménagement de Rio à Salvador, avec femme et enfants a inspiré l’ambiance de l’album, c’est surtout l’insistance de Pedro Sá, ami d’enfance et guitariste de son père Caetano, qui l’a convaincu et poussé à franchir le pas. Autour de lui, on retrouve ses amis fidèles car, plutôt qu’un exercice solitaire, la musique pour Moreno reste avant tout une histoire d’amitiés. En effet, son premier album, Maquina de Escrever Música, sorti en 2000, était signé Moreno + 2. Il fut suivi de Domenico + 2, puis de Kassin + 2. Chaque membre du trio que Moreno Veloso formait avec Domenico Lancellotti et Alexandre Kassin étant, à tour de rôle, sur le devant de la scène. Mais être sur le devant de la scène n’a jamais été une ambition pour Moreno, histoire peut-être d’échapper à l’écrasant fardeau d’être le fils de Caetano Veloso.
S’il s’est écoulé quatorze ans entre Maquina de Escrever Música et Coisa Boa, entre l’Orquestra Imperial et ses activités de producteur (notamment pour sa marraine Gal Costa), Moreno Veloso n’a pourtant pas chômé dans l’intervalle. Et s’il s’est écoulé quatorze ans entre ses deux albums, on est saisi pour la sensation de retrouver sa musique exactement où on l’avait laissée, comme s’il elle avait quelque chose d’intemporel. Cette continuité avait été relevée par M. Vinhal sur Fita Bruta, lors de la présentation des meilleurs albums de 2014. Coisa Boa et Rainha dos Raios, l’album d’Alice Caymmi, étaient dans leur Top 5 et Vinhal s’amusait de cette continuité entre les deux disques de Moreno comme s’il n’y avait rien de plus anti-Caetano : il disait que Moreno voulait faire du Caymmi tandis qu’Alice, plus aventureuse, voulait faire du Veloso…
Pourtant si la ressemblance est frappante, Coisa Boa est fondamentalement un disque sur le temps qui passe, inscrit dans la durée, où la mémoire rencontre le présent, où l’enfant et le père demeurent la même personne. C’est d’ailleurs une coïncidence mais deux chansons de Moreno figurent (très discrètement, lui même ne s’en est pas rendu compte quand il vit le film !) dans le film de Richard Linklater Boyhood dont le tournage s’est étalé sur douze ans et où l’on voit grandir un enfant jusqu’à l’adolescence.
Quiconque aura suivi la carrière de Caetano Veloso aura aussi, d’une certaine façon, l’impression d’avoir vu grandir Moreno. Il a trois ans quand on le voit avec ses parents sur la pochette de Joia (1975). Il en a neuf quand il est crédité comme chanteur et co-compositeur de « Um Canto de Afoxé para o Bloco do Ilê » sur l’album Cores Nomes (1982). On le croisera plus tard au violoncelle sur Tropicália 2 (1993) par exemple, puis encore compositeur de « How Beautiful Could a Being Be » sur l’album Livro (1997) de son père.
Sur Coisa Boa, Moreno Veloso chante des berceuses à Rosa et José, ses enfants à qui il dédicace le disque, et à… lui-même (« Vez em quando eu me pego sozinho a cantar uma melodia pra me ninar« ). L’album dégage une infinie douceur et une rare délicatesse. C’est le disque d’une « âme limpide » a dit Caetano. Un fort parfum d’enfance exhale jusque dans les thèmes de certaines chansons sous forme de fables animalières, comme « Jacaré Coruja » ou « Num Galho de Acácias » (une adaptation de « Un peu d’amour », composé en 1912 par Lao Silesu, où un scarabée, par amour pour une araignée, se fait prendre dans son toile…).
Moreno disait avoir été inspiré par son retour à Salvador. Musicalement, cela s’entend principalement sur les deux sambas de roda, genre traditionnel du Recôncavo, cette province de Bahia d’où est originaire sa famille : « Um Passo à Frente », traité plus moderne avec sa basse ronflante, et « Não Acorde o Neném ». Ce dernier est peut-être mon morceau préféré, Moreno y évoque avec saudade l’époque de sa grand-mère Dona Canô, quand il était enfant, et plante le rythme au prato e faca, une assiette frottée d’un couteau, ainsi que le faisait Dona Edith do Prato, la nounou de son père. Autour tous les amis battent des mains, ces palmas qui sont un accompagnement nécessaire du genre. Ce n’est pas une berceuse mais le titre dit qu’il « ne faut pas réveiller le bébé » ! Décidément, Moreno ne se refait pas.
La photo de la pochette semble avoir été prise dans les années soixante-dix. En fait, elle est toute récente. On y voit la plage de Porto da Barra, la plus célèbre de Salvador, dans la lumière dorée d’une belle fin d’après-midi. Au bord de l’eau, un enfant qui regarde la mer. « Cet enfant, c’est moi aussi, explique Moreno, même si sur cette même photo, je suis assis au fond, sur la balustrade avec mes amis bahianais« . Quand on disait que Moreno n’aimait pas être sur le devant de la scène…
Il est chouette ce Moreno, il y a de la générosité et de la simplicité dans sa musique. Ton article m’a amené à farfouiller sur la toile et je suis tombé sur un disque enregistré en 2011 et distribué uniquement au Japon (vergonha !) : Moreno Veloso Solo In Tokyo. Très beau (voix & guitare)
On peut l’écouter sur musicme, l’acheter une fortune sur amazon, le prix prohibitif des import japonais qui inciterait presque au téléchargement illégal …
Pour finir un article : http://www.blognotasmusicais.com.br/2012/01/moreno-cai-no-samba-solo-em-tokyo-e.html
A bientôt
Oui, je connais ce live, c’est pourquoi il n’est pas tout à fait exacte de dire qu’il s’agit de son premier album. Il faudrait préciser que c’est son premier en studio ! Sinon, j’ai pris le temps avant d’en parler comme lui a pris le sien avant de l’enregistrer. Mais, depuis six mois, ça fait partie des disques que je continue d’écouter régulièrement…