Le passé éclaire toujours le présent, aussi dingue soit-il. Car il ne fait aucun doute que Tom Zé cultive sa folie avec une belle constance. C’est d’elle qu’il fait jaillir des fulgurances de lucidité pour dire le monde et revisiter l’histoire musicale du Brésil. La récente réédition par Mr. Bongo de son deuxième album, Tom Zé, sorti en 1970 sur le label RGE Discos, est l’occasion de scruter l’artiste en jeune homme pour mesurer l’évolution de son cas. Était-il sage avant que l’âge ne l’illumine ? Cultivait-il déjà le sarcasme ?
S’il a été un des piliers du Tropicalisme, partageant la scène dès 1964 avec Caetano Veloso, Gilberto Gil et les autres pour le spectacle Nós, por exemplo, participant à l’album manifeste du mouvement Tropicália ou panis et circensis, on sait aussi qu’il n’a pas connu la notoriété de ses partenaires. Et qu’il a toujours tenu rigueur à Caetano Veloso de l’ostracisme qui accompagna sa carrière jusqu’à ce qu’il soit découvert par David Byrne et révélé au monde par celui-ci en 1990 quand il sortit un Best Of sur son label Luaka Bop. Mais associer Tom Zé à une quelconque rancœur serait vilain et serait un outrage au génie de l’artiste qui a, de toutes façons, toujours emprunté une voie plus décalée, expérimentale et avant-gardiste…
Tom Zé a d’ailleurs toujours chanté les louanges de ses professeurs de musique, sur le versant érudit et contemporain : Walter Smetak et Hans Joachim Koellreuter. « J’ai eu le bonheur, dit-il, d’avoir fréquenté, dans un pays où des gens crèvent de faim, une école de musique hyper-sophistiquée qui a pu ouvrir les yeux de tant d’élèves ».
Sur ce deuxième album de sa carrière, en 1970 donc, on le découvre ici de l’autre côté du pupitre à valoriser ses propres étudiants : « les meilleures idées de ce disque doivent être partagées avec mes élèves de composition de l’école SOFISTI-BALACOBACO » (qu’il fonda en 1970 à São Paulo et dont la devise était « muito som e pouco papo« , soit « beaucoup de son et peu de blabla »). Effectivement, « Lá vem a onda », « Guindaste a Rigor » et « Jymmy Renda-se », la plus rock, hommage aux Jimi, Bob et Janis tout en onomatopées assonantes, nées de de ces collaborations, sont parmi les meilleurs titres de l’album.
Écouter le jeune Tom Zé, c’est replonger dans une époque, retrouver le climat des albums de ses contemporains tropicalistes, c’est aussi le découvrir sous un jour plus sentimental, même si l’ironie y gicle comme du vinaigre sur une sucrerie.
Quant à savoir s’il cultivait déjà le sarcasme, le dernier titre, « A Gravata », donne la réponse et c’est un oui majuscule. Alors qu’il explique que « un citoyen sans cravate est la pire dégradation (…), c’est une dame sans pudeur, un strip-tease moral, une soupe sans sel » dans un premier couplet, le dernier donne tout son sens au morceau et révèle bien l’esprit de notre trublion : la cravate « est la potence la plus facile à manipuler, moderne, bien colorée, pour que la victime se réjouisse, c’est un processus freudien d’autopunition, la corde au cou et la foi dans le cœur »*.
À signaler : le premier album de Tom Zé, Grande Liquidação (1968) a également été ré-édité par Mr. Bongo. Sur deux titres, on peut y retrouver le groupe psychédélique Os Brazões. L’unique album (1969) de ces derniers, objet culte, vient lui aussi d’être relancé par Mr. Bongo. On en reparlera prochainement…
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* »A gravata já me laçou
A gravata já me enforcou
Amém
Um cidadão sem a gravata
é a pior degradação
é uma coroa de lata
é um grande palavrão
é uma dama sem pudor
estripitise moral
é falta de documento
é como sopa sem sal
Tem a gravata borboleta
com o bico inclinado
tem a gravata caubói
com o rabinho duplicado
Tem a gravata de laço
que desce do colarinho
molenga como uma tripa
que se deita na barriga
Ela é a forca portátil
mais fácil de manejar
moderna, bem colorida,
para a vítima se alegrar
é um processo freudiano
para a autopunição
com o laço no pescoço
e a fé no coração«