La musique porte toujours un masque et se brouille quand elle est liée aux esprits. On ne s’étonnera donc pas de la couleur métal métal annoncée par Juçara Marçal, Kiko Dinucci et Thiago França pour leur nouvel album tant leur musique est profondément inspirée par les orixás des religions afro-brésiliennes. Après un formidable premier album sous le nom de Metás Metá sorti l’an dernier, l’annonce d’un retour en trio de Juçara Marçal, Kiko Dinucci et Thiago França était la promesse de découvrir un des albums les plus excitants de l’année.
Dans son ouvrage de référence, Origine des Instruments de Musique – Introduction ethnologique à l’histoire de la musique instrumentale, le grand ethno-musicologue André Schaeffner a souligné qu’on peut déceler les traces des origines religieuses de l’art dans nombre de traditions musicales quand le son est amené à porter un masque, c’est-à-dire être brouillé, sali, transformé afin de prendre le caractère surnaturel indispensable au cadre rituel.
Multipliant les exemples, de la flûte bishur au mirliton nasal en passant par le nyastaranga hindou, Schaeffner nous explique que « la déformation de timbre par le mirliton est pour le chant ou la déclamation ce que le masque est pour la danse« , à savoir que le son produit permet d’être un Autre, peut-être la voix d’un esprit, d’un ancêtre, d’une divinité, etc…
Pour produire cet effet-mirliton, s’il souligne le recours fréquent à une « légère membrane faite d’un fragment de cocon d’araignée« , ces fameux opercules d’oothèques utilisés dans la fabrication traditionnelle du balafon, on sait bien aujourd’hui, plutôt que traquer les arachnides, qu’une simple feuille de plastique suffit. Cela fait d’ailleurs longtemps que Kiko Dinucci utilise ce procédé et en glisse une contre les cordes de sa guitare sèche pour en obtenir un son qui grésille. Mais cette fois-ci, c’est le recours à l’électricité qui a été privilégié : MetaL MetaL ! Le titre annonce la couleur, une véritable déclaration d’intention. Les musiciens ont branché les pédales d’effets et leurs instruments crachent le feu du fuzz et de la distorsion.
Leur premier album en trio était résolument acoustique, un écrin pour la voix sublime de Juçara Marçal où les paroles étaient mises en valeur. Mais s’il privilégiait la retenue, c’est comme le calme annonce la tempête puisque s’en distinguaient de vertigineuses montées à la pulsation afrobeat et où, déjà, batterie et percussions s’invitaient à la transe. Ce deuxième album en est donc une suite logique qui a pris forme alors que la formule s’incarnait sur scène quand le trio original était accompagné de Marcelo Cabral à la basse, Sérgio Machado à la batterie et Samba Sam aux percussions, redoutable escouade rythmique dont les deux premiers nommés sont également musiciens de Criolo. Les musiciens y ont naturellement été portés par l’élan hypnotique de ces quelques morceaux et ont enrichi leur répertoire, notamment d’autres compositions de Kiko Dinucci.
On retrouve « São Jorge », déjà enregistré sur Padê (2008), l’album en duo de Juçara et Kiko, ainsi que « Rainha das Cabeças », présent sur Pastiche Nagô (2009) l’album de Kiko Dinucci & Bando Afromarrônico, tous deux exécutés ici avec une énergie décuplée. Sur les neufs titres de l’album, trois ont été composés par Kiko avec Douglas Germano, son partenaire du Duo Moviola et du Bando Afromarrônico : il s’agit, outre « Rainha das Cabeças », de « Oya » et « Orunmila ». Également présent ici et composé par Kiko, « Logun », un titre que l’on avait découvert cette année sur l’album d’AfroElectro auquel il avait participé. Parmi les morceaux signés par Kiko, c’est au cœur de l’orage électrique qu’on découvre le trésor caché : « Cobra Rasteira », d’une langueur sensuelle toute « latine » où la flûte de Thiago vient s’immiscer entre les voix de Juçara et Kiko.
MetaL MetaL est un disque de transe et, pour cette raison, il n’est que la conséquence de celle qui surgit sur scène. Ce qui est devenu un disque est avant tout un projet, cette rencontre incandescente qui prend corps sur les planches et nous rend impatient de les voir un jour tourner en Europe. Si ensemble, ils expérimentent, c’est vers… la transe. Thiago França n’a d’ailleurs de cesse de rappeler qu’une approche expérimentale n’est pas synonyme de cérébrale mais qu’elle peut, au contraire, être profondément viscérale, comme il le démontre dans ses autres formations, MarginalS mais aussi Sambanzo dont on retrouve un peu de l’esprit ici. Cette expérimentation vers la transe, c’est transformer un titre traditionnel du candomblé dédié à Oxun, « Man Feriman » en vertige éthio-jazz où Kiko Dinucci martyrise sa guitare électrique comme au plus beau temps de sa jeunesse punk. D’ailleurs, c’est d’afro punk qu’ils s’amusent à décrire leur musique, comment mieux dire ?
Parce qu’ils savent bien que toutes les routes ne sont pas droites, que « nem todo trajeto é reto, nem o mar é regular » (« Cobra Rasteira »), la musique de Juçara, Kiko et Thiago adopte la voie de la boucle ou celle des chemins qui bifurquent. Leur voyage nous porte loin, bien partis avec eux.
superbe article, musique magique. merci pour ca. je parcourais votre beau site et me disais que j’aurai aimé vous envoyer, qui sait en avance, les nouveaux films que je vais tourner au Brésil, ou je viens d’arriver et ou je vais rester pour 3 mois. Avec Meta Meta, Criolo, Lia de Itamaraca et bien plus… le voyage commence. a bientot et merci pour la passion.
Vraiment un excellent disque ! Merci énormément pour la découverte ! Pressé de voir le travail de monsieur Moon (que j’apprécie également beaucoup par ailleurs).
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