Portrait/Rio/São Paulo

Kondzilla et l’esthétique du funk ostentatoire

« Contando plaque de 100 / Dentro de um Citroën » : en quelques mots, le jeune MC Guimê a résumé toute l’essence du funk de ostentação. En quelques plans, Kondzilla a immortalisé ses aspirations : des grosses cylindrées, des motos puissantes, des liasses de 100 R$, des bouteilles d’alcool de marque, des vêtements griffés et des culs moulés qui ondulent. Kondzilla, c’est le réalisateur qui a offert aux MCs de funk paulista des clips comme autant de véhicules pour atteindre la notoriété. La démarche porte ses fruits et sur les plate-formes de vidéos, le succès de ces jeunes gens est aussi spectaculaire que leur talent est limité.

Le funk au Brésil est né dans les favelas de Rio. Ce funk-là n’a rien à voir avec son homonyme américain. Ici, il désigne un truc brut, bien crade, raw : des boucles rudimentaires, des grosses basses et les aboiements de types qui se prennent pour les alpha dogs de leur quartier. Comme je l’ai souvent signalé ici, tout le monde veut s’encanailler*. C’est un principe sociologique qui traverse époques et continents. Ce qui était infréquentable et vulgaire devient le nouveau cool. Un truc si précieux et au potentiel commercial si incroyable que des brigades de cool hunters arpentent les ghettos du monde global et y traquent les dernières tendances afin de nourrir en modes toutes empaquetées le quidam. Au Brésil, s’il conserve ses fondamentaux, le funk est sorti du ghetto. Ou plutôt, ses fêtes n’ont plus lieu exclusivement dans les favelas mais également dans des lieux mieux fréquentés : le frisson certes, mais en limitant les risques. Le funk était jusqu’alors le pré carré de Rio. Que São Paulo puisse imposer son propre style était impensable il y a peu, même si ce ne sont pas les favelas qui y manquent…

Un glissement s’est opéré, le funk proibidão, inspiré par l’univers du crime, s’est vu dépassé par le funk de ostentação, dédié à l’étalage de biens de consommation. Le funk de ostentação est bien de son temps, imitant les dérives d’un certain rap américain** quand il a cessé de se revendiquer du hip hop pour virer bling bling. En France, faut-il remonter au « Ghetto Ambianceur » de Pit Baccardi, en 2000, pour remarquer un tel glissement ? Si MC Guimê lance pour la rime « en comptant une liasse de 100 dans ma Citroën », c’est une autre référence à l’automobile française qui a marqué ce glissement vers le funk de ostentação : le morceau « Megane »***, œuvre de MC Boy do Charmes. Parcourez les titres des morceaux et vous trouverez des « Clima da Ostentação », « Viver Ostentando », « Os Donos da Ostentação », « Vida de Ostentação » à la pelle…

C’est ici qu’intervient Konrad Cunha Dantas, alias Kondzilla. C’est lui qui a formalisé l’esthétique du funk de ostentação. Il a également développé une économie en adéquation avec le produit : des tournages légers en une demi-journée et à peu de frais. On l’imagine fortiche en placement de produits mais le système semble beaucoup plus informel et improvisé. Ce ne sont pas les marques qui mettent à disposition leurs engins mais des relations qui les prêtent. Quant aux filles, l’annonce d’un tournage sur les réseaux sociaux suffit à rameuter des bénévoles bien disposées. Mais Kondzilla met en garde les apprentis funkeiros : gare au lapin de la copine et du pote à la grosse bagnole. Et, même si rien ne ressemble plus à un de ses clips qu’un autre de ses clips, il lui faut parfois une bonne dose de flegme pour s’adapter aux impondérables et à certaines situations cocasses : « une fois, j’ai dit à un MC de monter sur la moto et de démarrer. Et il me répondit qu’il ne savait pas la conduire alors qu’on s’était mis d’accord sur le scénario quelques jours plus tôt et qu’il était entendu qu’il devait piloter son engin. Il a fallu qu’on supprime presque la moitié du clip ».

Ce n’est pas tant l’étalage de biens de consommations et d’objets de marque qui nous fait dire que le passage du proibidão à l’ostentação marque un changement social dans le funk brésilien. C’est plutôt de constater que ces tous apprentis-funkeiros sont pour la plupart blanc de peau et ne semblent pas venir du ghetto. Tandis que les crunkers US arborent d’impressionnants grills de guise de bijou dentaire, ces funkeiros sont tous de fervents adeptes de l’orthodontie, faudrait-il y voir un status symbol ? On est également frappé par leur jeune âge. MC Rodolfinho, par exemple, est à la limite du pré-pubère (et n’a aucune voix). D’ailleurs, Kondzilla reconnait que parmi ses clients, on compte certains jeunes gens qui se voient offrir par leur mère un clip pour leurs dix-huit ans !

Une chose est sûre dans l’esthétique de ce funk de ostentação : plus il y a de cylindres, moins il y a de la fesse. Les popotins généreux sont ici rabaissés à n’être qu’une partie du décor quand ils sont l’essence même du funk carioca. S’il reste loin de « Gangnam Style », « Como é Bom Ser Vida Loka » de MC Rodolfinho tape quand même à 14 millions de vue sur YouTube ! On se demande bien pourquoi mais, voilà, même le pire des musiques du Brésil est désormais sur les Afro-Sambas.fr !

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* Cf. L’Âme-Sueur. Le Funk et les musiques populaires du XXe. siècle (Desclée de Brouwer, 1998)… C’est mézigue l’auteur.
** Car c’est bien évidemment dans le rap plus que dans le funk qu’il faut chercher des similitudes avec les musiques nord-américaines.
*** On se souviendra que le public français a probablement eu sa première secousse de funk brésilien en découvrant la pub devenue mythique du Marathon urbain de Nissan où Tejo, Black Alien et Speed Freaks se déchaînaient sur « Quem Que Caguetou ». A une époque où Carlos Ghosn, né au Brésil, s’occupait justement de Nissan tombé dans le giron de Renault…

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