Disques/Rio

BNegão & Seletores de Frequência : en syntonie

Quel artiste ne rêverait pas de se produire devant 750 millions de personnes* ? En participant à la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Londres, BNegão devrait voir sa notoriété grimper à pas de géant. Pourtant, l’homme est du genre à prendre son temps, à par exemple laisser près de dix ans s’écouler entre son premier album solo Enxugando Gelo (2003) et Sintoniza Lá, sorti il y a quelques mois. Interrogé sur la cause d’un tel hiatus, BNegão s’en est sorti par une pirouette rieuse, disant qu’il était « fils de Dorival Caymmi« , allusion à la supposée paresse du maître bahianais. Mais, bien sûr, pas plus que chez Caymmi, la paresse n’explique cette longue absence. Car Bernardo Santos de son vrai nom serait plutôt omniprésent sur les scènes brésiliennes, multipliant les participations et les projets…

Brazilian hip hop artist BNegao performs

BNegão s’est forgé au métier pendant huit ans au sein de Planet Hemp, formation emblématique des années quatre-vingt-dix prônant la légalisation de la maconha sur fond de fusion rap métal. Fondé par Skunk et Marcelo D2, le groupe aura également vu passer dans ses rangs Black Alien, autre rappeur multicarte. Même Seu Jorge y fit une pige en sortant de Farofa Carioca. « Planet m’a donné l’expérience des grandes audiences. J’étais parolier et j’ai aussi beaucoup appris sur la production en regardant travailler un crack comme Mário Caldato Jr. En fait, le son qu’il a produit pour les Beastie Boys est une référence pour mon travail et celui des Seletores« , conclut-il de cette collaboration.

C’est en 2003 qu’il se lance en solo, non sans avoir rassemblé à ses côtés quelques musiciens qui forment les Seletores de Frequência, le groupe qui l’accompagne aujourd’hui encore : Pedro Selector (trompette), Fábio Kalunga (basse), Fabiano Moreno (guitare) et Robson Riva (batterie). Pour ces débuts sur Enxugando Gelo, il pratique la confusion des genres et pose ses raps sur des morceaux qui oscillent entre le dub, le funk ou le rock. Bien avant qu’il soit commun pour un artiste brésilien de proposer son album en téléchargement libre, le sien accompagnait la revue musicale Outracoisa, fondée par le rockeur Lobão. Et parce que des amies de Bahia m’avait ramené à l’époque un exemplaire de la revue, j’ai toujours eu en tête d’uploader l’album pour le faire connaître, imaginant que son auteur encouragerait la démarche. Cela n’a plus lieu d’être, vous comprendrez pourquoi un peu plus bas…

bnegao

Il n’y a guère que D’Angelo qui laisse dix ans s’écouler entre deux albums. Si le successeur de Voodoo est promis pour bientôt, il aura d’abord fallu que D’Angelo, esclave de son physique, trouve la volonté de vaincre un embonpoint que son narcissisme ne pouvait tolérer. BNegão que les kilos en trop n’ont jamais semblé le gêner, semble beaucoup plus décontracté en la matière. Il faut donc chercher, là encore, une autre explication à cette longue absence…

En fait, BNegão s’est tout de suite imposé comme une figure originale de la scène rap brésilienne, à l’écart du ghetto et ouvert aux expérimentations diverses. Il a du coup été très sollicité et s’est retrouvé participer à un nombre incalculable de projets : de Curumin à Mago Bo. En passant par Baiana System ou CéU, pour ne citer que des artistes évoqués ici.

A l’heure d’enregistrer son nouvel album, BNegão entend ne pas changer d’équipe ni de démarche. Les  Seletores de Frequência sont toujours là pour lui poser des musiques bien senties qui se promènent au gré des styles, jusqu’à lorgner vers l’afrobeat sur mon titre préféré. D’ailleurs, ça tombe bien, c’est celui qu’ils ont choisi d’illustrer par un clip, réalisé par Emílio Domingos.

[youtubehttp://www.youtube.com/watch?v=fZZKZfHidbg?rel=0]

Sans avoir besoin de tirer la couverture à lui, BNegão en impose, porté par un groupe à qui il laisse de l’espace, tous unis par une réelle cohésion. Sintoniza Lá, le titre de l’album, traduit bien le lien qui l’unit à ses Seletores de Frequência. Sociologue de formation, il me rappelle évidemment la notion de syntonie développée par Alfred Schütz dans son article « Making Music Together » (« Faire de la musique ensemble »)**, à savoir la façon dont les musiciens se créent leur propre temps interne, réagissent aux actions les uns des autres. La syntonie est une condition nécessaire pour faire de la musique ensemble. Fluide et pêchu, l’album de BNegão et ses Seletores de Frequência dégage une vraie cohérence.

BNegão sintoniza

Bonne nouvelle, les deux albums sont à télécharger librement sur leur site officiel.

BNegão e Seletores de Frequência, Sintoniza Lá (2012) (mp3 320 kbps)

01. « Alteração (ÉA!) »
02. « O Mundo (Panela de Pressão) »
03. « Reação (Panela II) »
04. « Proceder / Caminhar »
05. « Vamo ! »
06. « Essa É pra Tocar no Baile »
07. « Subconsciente »
08. « Na Tranquila »
09. « Chega pra Somar no Groove »
10. « Bass do Tambô »
11. « Sintoniza Lá »

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* L’audience mondiale estimée de la retransmission… En forme d’hommage à Chico Science, BNegão y interprétait « Maracatu Atomico », composé par Jorge Mautner et chanté par Gilberto Gil, avant d’être repris par Chico Science & Nação Zumbi. Les Brésiliens étaient dignement représentés lors de cette cérémonie de clôture qui passait le témoin à Rio : point de Michel Telo mais Marisa Monte qui chantait les « Bachianas Brasileiras n°5 » de Villa-Lobos et Seu Jorge sur « Nem Vem Que Não Tem » de Wilson Simonal… En voici un extrait inaudible.
** Œuvre de jeunesse, j’avais osé un article académique assez olé-olé « L’Amant n’est plus dans le placard, ou l’ordinateur-adultère », publié dans la revue Sociétés n° 51 (1996), où je citais la notion de syntonie telle que développée par Alfred Schütz… Sa chute d’un goût douteux, je le confesse : « Notre mari jaloux, lui, peut même passer les portes la tête haute : ses « cornes » sont virtuelles« .

 

2 réflexions sur “BNegão & Seletores de Frequência : en syntonie

  1. Ah… Bêtise ordinaire du capitalisme mondial, je découvre qu’on ne peut visionner le clip de BNegão dans notre « pays pour des raisons de droits d’auteur ». A ce degré de ridicule, on précisera que Abril Radiodifusão SA est le groupe qui diffuse MTV au Brésil : doit-on ajouter CQFD ? Que craignent-ils ? Que BNegão commencent à se faire connaître hors des frontières du pays, qu’il se lance dans une carrière internationale ? Sinistres crétins !!!

  2. Pingback: Les Lauréats des VMB Awards 2012 « Afro-Sambas

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