Pour conclure ce cycle d’hommage à Jorge Amado à l’occasion de son centenaire, quoi de mieux que retomber sur nos pieds en le raccrochant à celui consacré à Caetano Veloso qui fête, lui, ses soixante-dix ans. C’est lui l’auteur de la bande originale du film de Carlos Diegues Tieta do Agreste*, un film où l’on retrouve une fois de plus Sônia Braga en vedette.
Pour la petite histoire (et sans aller chercher plus loin que Wikipédia), en 1988, Sônia Braga avait cherché à acquérir les droits du roman de Jorge Amado (paru en 1977) et avait convaincu son compagnon Robert Redford de les acheter. Malheureusement, bien qu’Amado ait considéré Sônia comme sa meilleure Tieta, il les avait déjà vendus à quelqu’un d’autre. Le film de Cacá Diegues ne put donc se tourner qu’en 1996.
Même si, inévitablement, viennent s’y greffer des romances, l’histoire est celle d’un retour. Antonieta « Tieta » revient dans son village de l’intérieur de Bahia, vingt-six après en avoir été chassée par son père**. Elle est riche, belle et a un secret. Je ne vous en dirai pas plus car je n’ai ni lu le livre, ni vu le film… Mais comme l’explique Diegues, « Tieta est un film sur la nécessité d’être aimé […] Tieta parle d’une femme qui a été expulsée de sa ville natale lorsqu’elle était adolescente et qui revient 26 ans après, riche et puissante. Le thème du retour est une situation dramatique classique : on le retrouve dans la Bible, chez Shakespeare, chez Dürrenmatt et est toujours lié à un désir de vengeance, à un règlement de comptes. Ce qui est génial dans l’œuvre de Jorge Amado est que Tieta ne revient pas pour se venger, mais pour être aimée« . Carlos Diegues a beau être une figure du radical Cinema Novo, les extraits que j’ai vu de sa Tieta me donnent l’impression d’un film tourné à la papa. Comme on peut le constater ci-dessous où nous entendons en fond sonore la chanson composée par Caetano pour l’occasion…
Dans la discographie de Caetano Veloso, la bande originale de Tieta (1996) prend place entre O Quatrilho (1995), une autre bande originale de film (où l’on trouve notamment la chanson « Merica Merica »), et Livro (1997), album magistral. C’est-à-dire au cœur de sa période Morelenbaum, à un moment où jamais ils n’avaient été aussi proches. Si cela faisait déjà quelques années que Caetano avait embauché ce maestro, violoncelliste virtuose, ancien musicien de Jobim, c’est vers le milieu des années quatre-vingt-dix qu’il confie à Jaques Marelenbaum les clés de son orchestre. Morelenbaum est le brillant arrangeur que l’on sait, il construit des cathédrales orchestrales pour sertir la voix de Caetano du plus bel écrin. Mais ce que l’on gagne en joliesse, on le perd en beauté.
Le génie de Caetano a toujours été de n’en faire qu’à sa tête et ici de tempérer l’apport classique de Morelenbaum par une grosse présence des percussions. Sur Tieta, celles-ci sont jouées par l’ensemble Didá Banda Feminina, composée comme son nom l’indique de percussionnistes féminines mais dirigées par Neguinho do Samba. Lequel est, rappelons-le, rien moins que l’inventeur du rythme samba-reggae avec Olodum. On peut même considérer que cette ouverture sur le langage percussif bahianais se traduira ensuite merveilleusement dans Livro, son album suivant.
Pour le reste de l’album, comme on peut s’y attendre pour une musique de film, on trouve beaucoup d’instrumentaux avec orchestre, même si Didá Banda Feminina participe à plusieurs autres morceaux. « A Luz de Tieta » est vraiment le « tube » du film, un morceau qui a accompagné Caetano et qu’il jouait régulièrement sur scène à cette époque. Celui qui nous a incité à l’évoquer pour cet hommage à Jorge Amado.
Et pour l’interpréter sur cette B.O., il invite sa vieille complice Gal Costa à chanter en duo. On les retrouve ici dans un clip tourné pour l’occasion, assez kitsch. Le son est presque inaudible mais je n’ai pas réussi à en trouver une meilleure version…
Pour ce faire une idée plus juste de la force du morceau, il faut se tourner vers les enregistrements live. « A Luz de Tieta » fait ainsi partie du répertoire de Prenda Minha (1999), version ao vivo de Livro. Mais surtout, pour saisir toute la ferveur populaire qu’il a provoqué, le plus beau témoignage est celui qui figure sur l’album de Timbalada, Vamos Dar A Volta No Guetho (Ao Vivo)***, enregistré au Candyall Guetho Square en 1998. Caetano y est poussé au cul comme jamais par l’armada de tambours de Timbalada et par un public si déchaîné qu’il en commence à chanter trop tôt. Monumental ! Comme vous pourrez vous en rendre compte par vous même en suivant ce lien :
Caetano Veloso & Timbalada, « A Luz de Tieta », Vamos Dar A Volta No Guetho (1998) (mp3 320 kbps)
__________________________________
* Le film est sorti en France, allez savoir pourquoi, sous le titre de Tieta do Brasil. Ce qui n’est après tout pas plus crétin que de rebaptiser un The Hangover en Very Bad Trip…
** Il est à noter que celui-ci est interprété par Chico Anysio, l’humoriste qui avait notamment parodié les Tropicalistes en créant le groupe Baiano e os Novos Caetanos et qui est décédé cette année.
*** Un album déjà évoqué ici…
____________________________________
*
BRAVO !!! Cette série de quatre articles est absolument remarquable. Un travail formidable que je ne peux que recommander à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la musique et à la littérature brésilienne. Vivat !