A chaque musique, sa substance. On le sait bien, depuis la nuit des temps, la fête a besoin de ses petits adjuvants, de ses techniques archaïques de l’extase, qu’elles soient légales ou illégales. Felipe Cordeiro s’est amusé à dresser une liste de produits associés à différents styles de musique et le clip qu’il vient de lancer il y a quelques jours, l’illustre au pied de la lettre. De la cachaça pour le samba canção à la tequila pour le merengue, sans oublier l’herbe de l’amour (sic) pour le reggae, le tout sous forme d’inventaire à la Prévert en mode très coloré : « aguardente no bom samba-canção/ Uisquinho da bossa nova/ Caspa do diabo no rock’n’roll/ Erva do amor no reggae night » !
C’est décidément du Pará que nous viennent les clips les plus délicieusement kitsch du Brésil. La patrie de Gaby Amarantos et du (tecno)brega se doit de faire honneur à sa réputation en la matière mais ses artistes les plus intéressants en jouent malin (Gaby la première) pour y ajouter une touche pop et arty. Comme le titre de son album l’indique, Kitsch Pop Cult, Felipe Cordeiro joue des différents niveaux de lecture que l’on peut accorder à une musique populaire : légère et dansante, en même temps que référencée et pensée. Mais souhaiter jouer sur deux registres révèle une vraie ambition, pour tout dire un truc pas gagné d’avance : « je voulais que ce soit un disque que l’on puisse passer aussi bien dans un aparelhagem de la périphérie de Belém que dans un univers d’expérimentation »*.
Avec la plus flamboyante moustache de la musique brésilienne contemporaine, le jeune Felipe Cordeiro est un des artistes qui font de Belém du Pará une des scènes musicales les plus originales du pays. Longtemps moqué pour le côté hyper-cheapouille de la tecno-brega, le Pará est riche de ses propres styles, guitarrada, lambada ou carimbó. Le talent de Felipe Cordeiro s’exprime dans sa façon d’intégrer ces styles régionaux et de les traiter de façon moderne et décalée : comme de jouer une lambada en mode guitare surf…
Les références du jeune homme sont même plus larges. Il se revendique de la Vanguarda Paulista, cite les influences de Luiz Tatit, Arrigo Barnabé et Itamar Assumpção et confie la production de l’album à André Abujamra (ancien leader de Os Mulheres Negras et de Karnak). « Ce n’est pas un disque sur le brega mais sur le processus de copie qui est la traduction la plus proche du concept de kitsch. Les années 80 sont une décennie clé pour surfer sur ces thèmes-là. Parce que d’un côté, il y avait l’univers cult d’Arrigo, d’Itamar, des Mulheres Negras qui co-existait avec celui de la musique brega et de la lambada du Pará. Et du point de vue de l’esthétique musicale, on peut leur trouver des rapprochements insolites, comme dans l’utilisation de chœurs féminins ». Sur ce « Legal e Ilegal », on retrouve justement cette ponctuation par des voix féminines qui rappèleront notamment celles de Isca de Polícia, un des groupes d’Itamar Assumpção.
« Legal e Ilegal » est probablement le titre le plus accrocheur et amusant de l’album. Se détachent également de Kitsch Pop Cult, « Lambada com Farinha », où la lambada est jouée par une guitare surf et dont l’intro par un quatuor à cordes achève de brouiller les pistes, et « Fogo de Morena », où c’est le carimbó qui vire afro-pop et évoque de brillants aînés, comme Chico César, qui avaient déjà enrichi le genre deleura finesse mélodique. Avec sa variété de styles et son approche très pensée, festif et plus que ça, et Felipe Cordeiro s’affirme d’emblée comme un artiste à suivre de près.
L’album est en téléchargement gratuit sur son site mais à un bitrate assez… cheapouille.
En matières d’adjuvants pour les fêtes musicales de l’été, à vous de voir vers quelles substances vont vos préférences, Felipe Cordeiro, de son côté, semble pencher pour la tequila : « A tequila no merengue (é dessa que eu gosto)« . Une chanson et un clip à consommer sans modération !
Spéciale dédicace à Kiko Dinucci qui m’a fait découvrir le travail de Felipe Cordeiro en m’offrant le CD de Kitsch Pop Cult !
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* Les citations de Felipe Cordeiro sont extraites de l’article de Lauro Lisboa Garcia, « Felipe Cordeiro e o brega cult do Pará » paru dans l’Estadão.
PS : Coïncidence très ironique, je découvrais ces jours-ci l’image « légal/illégal » qui montre qu’aux Etats-Unis, il est plus facile de se procurer une arme qu’un fromage français. En matière d’association de fromage et musique, un travail de fond reste à faire pour déterminer à quel style correspondrait quelle variété… Et à celui qui, benoîtement satisfait, me dira qu’au heavy metal il faut du roquefort, je le punirai en ne lui autorisant qu’une simple et insipide tartine de Vache Qui Rit…
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