On a une fâcheuse tendance à colporter en France des stéréotypes sur le Brésil. Parmi ces derniers, ceux ayant trait au carnaval occupent une place de choix. Et concernant le carnaval, le cliché le plus répandu consiste à y voir une inversion des valeurs, une parenthèse d’harmonie dans une société inégalitaire. Foutaises. Cette vision idyllique est celle à laquelle aimeraient nous faire croire les classes dominantes brésiliennes alors que c’est, au contraire, un renforcement des hiérarchies sociales qui s’opère pendant cette fête.
A Bahia, il y a vingt-cinq ans, un homme est venu protester contre les injustices du carnaval, il a aussi poussé un cri d’affirmation et de fierté de la même force que le « Say It Loud, I’m Black and I’m Proud » de James Brown. Cet homme, c’est Gerônimo Santana.
Le carnaval de Bahia se structure autour de plusieurs circuits qui parcourent la ville et se divise, pour simplifier, en deux grands types de manifestations. On distinguera les trios elétricos et les blocos afros. Qu’il est loin le temps où Dodô et Osmar inventaient le concept de trio elétrico en jouant sur une voiture équipée de haut-parleurs, désormais ce sont des mastodontes de semi-remorques qui circulent en crachant les décibels. La « puissance de feu » des blocos afros ne s’appuient pas sur une amplification sur-puissante mais repose sur une armada de percussionnistes. Et quel que soit leur nombre, il est difficile de rivaliser avec le vacarme des trios.
En 1986, pendant le carnaval, Gerônimo Santana a assisté au face à face entre un trio et un bloco. La situation était, semble-t-il, fréquente : le trio de toute sa puissance sonore venait empiéter sur le territoire du bloco. Malgré des itinéraires balisés, les deux formations venaient à se rencontrer dans un clash sonore qui fit monter la tension d’un cran… Comme l’écrit Goli Guerreiro dans A Trama dos Tambores, cet incident met à jour les tensions du tissu socio-racial de Salvador. Et pour Gerônimo, « ce qui était en jeu dans ce moment, c’était la lutte pour le respect des manifestations noires. Et ce que nous voulions ne concernait pas seulement le carnaval, non**.
Pour témoigner de cet incident, accompagné du percussionniste Tião et du batteur Ivan Huol, Gerônimo se lance dans une improvisation sur la base d’un morceau qui combine, dans son style caractéristique, reggae et rythmes du candomblé. Dans cette longue improvisation parlée, il recrée un dialogue et incarne ses paroles comme un comédien, imite les voix, prend le rôle du leader du bloco et rejoue la dispute.
Baby Santiago, le directeur artistique de Radio Itaparica qui assiste à cette performance, l’enregistre sur cassette. Et il diffuse bien sûr ce morceau de sept minutes sur ses ondes, puis le passe et le repasse tant le public en redemande et les autres radios jalouses de ne pas en avoir un enregistrement.
C’est l’année suivante, en 1987, que Gerônimo se décide à enregistrer le morceau. Il s’appelle en réalité « Macuxi Muita Onda » mais tout le monde l’appelle « Eu Sou Negão ». Le titre paraît sur un Maxi 45Tours où figure deux autres morceaux relégués dans l’ombre, « Jubiaba » et « Vida que Passamos ».
« Eu Sou Negão » devient un énorme tube de Bahia dont Caetano s’inspire d’ailleurs pour écrire « Eu Sou Neguinha ». Comme l’indique son suffixe augmentatif, un Negão serait un Noir superlatif en quelque sorte. Le terme désigne une personne instruite des racines et cultures africaines et fière de ses origines. Et Gerônimo qui était comme chez lui dans les quartiers populaires de Salvador où résident une majorité de Noirs et de Métis, qui connaissait bien le candomblé et les musiques des Caraïbes était un vrai Negão lui-même bien qu’il soit métis. D’ailleurs, si « Eu Sou Negão » est un manifeste afro, à Salvador, même les Blancs s’y identifient, pour peu qu’ils partagent les mêmes aspirations de reconnaissance des cultures et manifestations noires à Bahia.
Parce qu’il a su intégrer les rythmes de Bahia dans un format pop, Gerônimo est parfois considéré comme un des pères fondateurs de l’axé music. Mais à la différence de ce qu’est devenu ce style hégémonique à Salvador, dilué dans la variété, la musique de Gerônimo a toujours gardé un lien direct avec ses racines afros. « Eu Sou Negão », vingt-cinq ans après, demeure un geste fondateur de la longue lutte contre les préjugés et les injustices, un grand cri qui dit « meu coração é a liberdade » !
« Imanoá mirí
Roraima
Ê ikeí
Muita onda
E ai chegaram os negros
Com toda a sua beleza
Com toda a sua cultura
Com toda a sua tradição
E no bum bum bum
bum bum bum
No seu tambor
O seu negão vai tocando assim
Pega a rua Chile
Desce a ladeira
Tá na praça Castro Alves
Ou praça da Sé
Transando o rock
Funk, Samba-reggae e ri
Transando o corpo
A mente
Baby vem, kiss me
E na beirada da multidão
Em cima do caminhão
Ele fala:
Todo mundo vai dançar
Todo mundo vai mexer
Comandei o carnaxé:
Eu sou negão
Eu sou negão
Meu coração é a liberdade
É a liberdade
Sou do Curuzu ilê
Sou do Curuzu ilê
Igualdade na cor essa é a minha verdade
Igualdade na cor essa é a minha verdade
Eu sou negão
Eu sou negão
Meu coração é a liberdade
É a liberdade
Ê ikeí, ikeí
É macuxí muita onda »
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* Cité par Goli Guerreiro dans A Trama dos Tambores
Bien intéressant !
Merci