Bahia/Portrait/Rio

Gil et Jorge (2/2) : une admiration réciproque

Dès ses débuts, Gilberto Gil a été un grand fan de Jorge Ben. La réciproque est tout aussi forte. Cette admiration respective a trouvé un aboutissement avec Ogum – Xangô, l’album qu’ils ont enregistré ensemble en 1975. Témoignage historique d’une complicité en forme de rythmiques de guitares acoustiques déchaînées. Soit leur particularité et talent communs au service de compositions de l’un et de l’autre étirées au point d’en faire un double album.

GilGandhietJorgeParmi les passages les plus marquants de Verdade Tropical, le livre de Caetano Veloso, plusieurs concernent son ami Gilberto Gil. Celui où il raconte que Gil a failli arrêté la musique à cause de trop d’admiration est le plus étonnant. Je l’avais déjà évoqué en présentant Jorge Ben lors de ses soixante-dix, il est opportun de reprendre l’extrait du livre pour, cette fois-ci, l’anniversaire de Gil : « Gil était un passionné de Jorge Ben depuis ses années de jeunesse à Bahia. Un soir, alors qu’il donnait un concert dans un club de Salvador, il déclara qu’il arrêtait de composer et qu’il ne chanterait plus aucune de ses propres compositions, depuis qu’un type appelé Jorge Ben venait de surgir et qu’il faisait déjà tout ce que lui aurait dû faire. Moi qui aimait Jorge Ben pour son originalité et son énergie, je n’admettais pas qu’un talent musical comme celui de Gilberto Gil fasse silence en révérence à celui-ci. Par-dessus tout, il me semblait presque choquant que Gil, bien plus doué pour les harmonies que moi, dise qu’il préférait tout abandonner à cause d’un musicien infiniment plus primaire que lui. Bien que je trouve son geste radical et passionnément généreux, je ne pouvais partager ses motivations. Je l’attribuais en partie (et je crois que je n’avais pas complètement tort) à des raisons raciales. Jorge Ben n’était pas seulement le premier grand auteur noir depuis les débuts de la bossa nova (un titre qui aurait pu aussi revenir à Gil), il était aussi le premier à en faire un déterminant esthétique ».

L’anecdote est incroyable et Caetano en décortique bien les motifs. Elle est aussi très révélatrice de la belle âme de Gil. Peut-être que quelqu’un qui lirait cette histoire sans en connaître les protagonistes y verrait un orgueil mal placé. Quiconque connaît Gil n’y verra que générosité et honnêteté et trouvera que cela en dit long sur le bonhomme.

Dans le parcours de ces deux artistes, l’album de 1975 scelle cette admiration réciproque. Gil n’est alors plus pétri d’idolâtrie mais traite mieux que d’égal à égal. C’est sous son influence que Jorge Ben apprend à improviser. Et même s’il n’adopte pas leur style vestimentaire, Jorge Ben n’a jamais eu l’air d’un hippie, c’est de la fréquentation des Tropicalistes qu’il en vient à plus se lâcher et bouger sur scène.

Gil & Jorge - Ogum - XangôMais c’est Gil lui-même qui évoque le mieux cette influence de Jorge Ben à travers leur quête commune des racines afros des musiques brésiliennes : « Jorge Ben est pour moi une sorte de maître. J’ai eu beaucoup de maîtres mais lui, c’est un maître en exercice. Plus comme un père peut-être*. Dans la mesure où il y a beaucoup de lui dans ma volonté de donner une clarté aux matrices noires dans mon travail. C’est quelque chose qui apparaît en concert, quand j’improvise. C’est mon côté preto velho… Un vocabulaire où entrent des mots nagôs, dits avec cette guturalité noire dans la voix. C’est comme des retrouvailles avec ma formation la plus primaire ».

Ces mots sont une ouverture sur la suite de notre hommage à Gilberto Gil pour ses soixante-dix ans, une illustration de sa quête des afrorismes, à suivre…

_______________________________

* Nous rappellerons qu’ils sont nés la même année, en 1942…

Votre commentaire

Choisissez une méthode de connexion pour poster votre commentaire:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s