Clips/São Paulo

Une Orgie de fruits avec Bonde do Rolê

Un des plus grands malentendus auquel ont été confrontés les internautes qui cherchaient à se documenter sur le funk carioca ces dernières années, était probablement d’y voir associé le nom du groupe Bonde do Rolê. Car, contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse internationale, ce jeune trio n’a absolument rien à voir avec les favelas de Rio où ce mouvement a vu le jour. Disons plus simplement que Bonde do Rolê est un groupe d’électro pop.

BondedoRolêKilo3Bonde do Rolê, ce sont trois jeunes gens qui viennent de Curitiba, dans le sud du pays. Des jeunes gens qui ne sont pas des favelados mais qui s’inspirent à leur façon décalée de cette énergie des ghettos. Une nouvelle illustration de ce processus d’encanaillement qui s’avère bel et bien une constante sociologique et traverse comme un fil rouge l’histoire des musiques populaires*. Si ce n’est qu’aujourd’hui, cet encanaillement fonctionne par identification et appropriation plutôt que par contact direct. En effet, avec leur dégaine de fluo kids, on imagine mal Pedro D’Eyrot, Laura Taylor et Rodrigo Gorky aller fréquenter les bailes des favelas où est né le funk carioca comme Noel Rosa allait composer avec Cartola sur les morros de Rio…

Diplo, qui a repéré et signé par le trio sur son label Mad Decent, a très bien compris le phénomène, lui qui est un maillon essentiel de la « chasse au cool » planétaire . En bon encanaillé de base, il s’est tout de suite approprié le funk carioca mais a aussi observé comment celui-ci s’est répandu au Brésil : « la première fois que je suis allé au Brésil, tu n’entendais cette musique nulle part, sauf à Rio. Peut-être aussi à São Paulo. Ce qui l’a aidé à se développer, ce sont les gens qui ont commencé à en jouer en dehors du Brésil. Les Brésiliens se sont dit : ‘bon, finalement, on peut en jouer, ce n’est pas de la musique que pour le ghetto ou les Noirs. C’est cool, il y a même des Blancs qui dansent là-dessus en Europe’. Ca l’a aidé à se développer« . Soit exactement le même processus que pour le tango, un exemple parmi d’autres. Le tango était la musique des bordels et des bas-fonds jusqu’à ce que les jeunes de bonne famille qui avaient coutume de s’y encanailler, en lancent la mode à Paris. Y ayant acquis une légitimité, Paris !, de retour au pays, le tango put désormais se danser dans les salons…

Pour revenir à Bonde do Rolê, c’est en fréquentant Diplo que le groupe est devenu hype. Par simple capillarité. Si Wesley Pentz aka Diplo s’amuse depuis bien longtemps à injecter des rythmiques de funk carioca dans ses sets et productions, c’est plus dans l’attitude qu’il a quelque chose en commun avec les cultures musicales brésiliennes : une même pulsion anthropophagique. Il se jette en goinfre sur toutes les nouvelles formes de dance music jaillies de tous les ghettos du globe pour les digérer dans ses propres mixes.

C’est donc sur Mad Decent que Bonde do Rolê s’apprête à lancer son deuxième album, Tropicalbacanal. Un titre prometteur… Ou prétentieux : la musique nous plongera-t-elle vraiment dans une bacchanale tropicale ? On demande à voir.

Voici donc un clip qui en donne un avant-goût : une orgie de fruits exotiques. J’avais écrit l’été dernier que l’idée d’une orgie végétarienne restait au stade de l’oxymore. Je dois reconnaître que les jeunes filles qu’on aperçoit ici finiraient presque par me convaincre du contraire : ça pulpe, ça zeste, ça jute.

Et si votre conviction quant à la dimension orgiaque du fruit est encore un peu molle, une visite à BossaNovaBrasil devrait achever de vous convaincre : nous avons là un spécialiste de la femme-pomme, de la femme-melon, et autre femme-pastèque… Où il est très justement expliqué que c’est l’univers du baile funk qui a lancé cette vague des femmes-fruits, lesquelles ont généralement développé un art accompli de la danse lascive.

Outre qu’il apparaît dans le clip déguisé en cowboy, on précisera que ce Tropicalbacanal a été produit par Diplo lui-même, assisté de Filip Nikolic (Poolside). On notera la participation des rappeurs déjantés de Das Racist et surtout on soulignera qu’un vrai Tropicaliste s’est même incrusté à la fête : Caetano Veloso bien sûr !

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* Dans une vie antérieure, j’étais sociologue et ce thème de l’encanaillement était au centre de mon doctorat sur les musiques populaires et fut, par la suite, développé dans mon livre L’Âme-Sueur, le Funk et les Musiques Populaires du XXe siècle (Desclée de Brouwer, 1998).

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