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Mariene de Castro, sans perdre son âme de Bahia

Aujourd’hui, avec sa voix forte et claire, Mariene de Castro est très certainement la plus populaire des chanteuses bahianaises attachées aux traditions. Elle est LA Baiana jusqu’au bout des ongles et vient enfin de sortir un deuxième album studio, Tabaroinha, qui devrait lui offrir la reconnaissance nationale sans y perdre son âme.

Mariene de Castro tabaroinhaSi la jeune femme (elle est née en 1979) est aujourd’hui une vedette du samba de Bahia, le succès fut long à ce dessiner pour cette authentique Soteropolitana. Même sur ses terres. Dans le sillage de son premier mari, J Velloso, neveu de Caetano et Bethânia, elle fut partie prenante de projets de sauvegarde des traditions musicales du Reconcavô aux côtés de Dona Edith do Prato ou Roberto Mendes. Ce sont encore ces « chants de l’intérieur », en opposition à ce qui serait un versant littoral, qui constituent le cœur de Tabaroinha. La tabaroinha*, c’est elle : la paysanne. Alors qu’elle est citadine née et grandie dans la capitale, elle se revendique de ce terme péjoratif, synonyme de caipira. La tabaroinha, c’est la paysanne gauche et timorée mais Mariene veut lui donner une définition plus flatteuse : la tabaroinha, c’est celle « qui sort de chez elle et se mêle au monde mais sans perdre son essence ». Et c’est exactement ce qu’a entrepris Mariene : partir à la conquête du Brésil sans perdre son âme bahianaise.

Pour se donner les moyens de toucher le public national, le choix du répertoire est habile. Révélée au grand public lors de sa participation à un DVD de Beth Carvalho, Mariene de Castro se frotte au samba carioca quand celui-ci fouille les racines bahianaises. Ainsi deux vedettes nationales sont évoquées ici : Alcione, la Marrom, et Clara Nunes. Deux chanteuses liées au samba. Mariene reprend ainsi « Um Ser de Luz », la chanson qu’avait composé João Nogueira et Paulo César Pinheiro en hommage à Clara Nunes et qu’avait interprétée Alcione. Du répertoire d’Alcione, elle reprend aussi « Roda Ciranda », signée du grand Martinho da Vila. Autre sambiste carioca présent au répertoire de Tabaroinha, le fin mélodiste Arlindo Cruz, auteur de « Pureza da Flor », titre qui ouvre l’album. Figure aussi « Isto é Bom » de Xisto Bahia, titre historique puisqu’il s’agit du premier samba (ou lundu) enregistré, lancé en 1902.

On retrouve aussi les classiques nordestins. Un titre de Luiz Gonzaga (dont on célèbre cette année le centenaire), « Estrada de Canindé » et un autre de Dorival Caymmi, « História pro Sinhozinho (Tia Anastácia) » qu’elle considère comme la berceuse qui accueillera son quatrième enfant.

Mais sa mission est de dynamiser le samba à Bahia, qu’il retrouve la place qu’il mérite et en soit plus considéré comme une musique « alternative ». Alors, elle chante les sambistes locaux. Nelson Rufino avec « Amuleto da Sorte », Roberto Mendes (et Nizaldo Costa) avec « Marujo », beau duo guitare-voix, bien sûr, Roque Ferreira dont elle interprète encore trois compositions : « Ponto de Nanã », « Foguete », déjà chanté par Bethânia, et « Orixá de Frente », récemment interprété par Roberta Sá. Mariene ne tarit pas d’éloges sur le compositeur qu’elle a le plus chanté, mestre Roque Ferreira : « c’est mon maître, mon ami, mon père, il m’enseigne l’histoire du samba. Je considère que c’est un génie. Ses chansons me donnent la même sensation que quand j’écoute Dorival Caymmi : la simplicité dans les paroles et la mélodie. Je milite pour qu’il y ait plus de chanteuses qui l’enregistrent« .

Lancé par Universal, Tabaroinha devrait permettre à Mariene de Castro d’atteindre la notoriété nationale qui lui fait encore défaut. Pour y parvenir, elle est allée chercher le talentueux Alê Siqueira pour produire son album. Croisé aux côtés de Carlinhos Brown ou Omara Portuondo, celui-ci avait offert sa renaissance discographique à Elza Soares, réalisant, en 2002, Do Cóccix até o Pescoço, album sublime et inespéré. En le sollicitant, Mariene de Castro cherchait-elle à : a) enregistrer de la bonne musique ou b) réussir son cross-over ? Les deux. Alê Siqueira est venu respectueux du style de Mariene de Castro. Il a bien étoffé parfois l’orchestration, ajouté quelques cordes (cross-over) mais n’a pas cherché à faire moderne. Il a gardé l’instrumentation habituelle à base d’accordéon, percussions, chœurs et viola. Car la musique de Mariene de Castro est aussi foncièrement conservatrice, au sens noble. Pas réactionnaire, mais consciente de la fragilité de certaines traditions populaires et cherchant à les préserver et à les faire connaître du plus grand nombre. Mais en bonne tabaroinha, sans perdre son âme ni son essence. Sans rien laisser de sa « bahianité », quitte à ce qu’on puisse imaginer son clip, à l’esthétique de carte postale, soit produit par l’office de tourisme !

Mariene de Castro avait laissé une impression marquante avec son dernier album Santo de Casa, enregistré en public. S’il existe une vilaine habitude mercantile au sein de l’industrie de la musique brésilienne qui consiste à sortir systématiquement le CD et le DVD ao vivo d’un album, pour peu qu’il s’agisse d’une vedette, la démarche de Mariene de Castro est différente. D’abord, il n’existe pas de version studio de Santo de Casa. Ensuite, comme beaucoup de ses collègues brésiliens, c’est sur scène qu’elle bâtit sa carrière et c’était probablement la façon la plus authentique de rendre compte de sa musique à ce moment-là. Santo de Casa m’avait rendu impatient de la suite.

Mariene de Castro possède une voix qui tranche avec son tempérament, une voix forte et énergique quand Mariene semble incarner la légendaire nonchalance bahianaise, ce côté « pas trop vite le matin, doucement l’après-midi« … Mariene de Castro ne danse pas, ou seulement des bras, elle ondule mais par sa seule voix, elle fait preuve d’un abattage extraordinaire. Alors, en attendant une éventuelle sortie internationale de Tabaroinha, souhaitons-lui de déjà conquérir le Brésil puisque c’est sans perdre son âme de tabaroinha de Bahia.

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* « Indivíduo que sai de casa, se mistura, mas não perde a essência« . De tabaréu au masculin.

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