Disques/São Paulo

Arrocha, ou l’afro-choc de Curumin

Curumin avait annoncé la couleur. Il y a déjà deux mois, il expliquait que Arrocha, son nouvel album, serait « plus lourd », résolument orienté hip hop. « Il est différent des autres, plus électro. Il a été fait sur l’ordinateur, avec des machines, il est plus lourd ». Il avait également signalé la présence de Russo Passapusso sur une paire de titres et ça nous avait rendu impatient…

lamina-powergraph-63x31cm.inddCurumin n’est pas franchement un inconnu. Au sein de cette nouvelle génération d’artistes brésiliens, il fait partie des quelques heureux à avoir déjà eu l’occasion de lancer leur carrière internationale, avec sortie d’album et tournée à la clé. Son deuxième album Japan Pop Show reçut même un accueil critique très enthousiaste. Le titre de celui-ci signalait que Curumin, de son vrai nom Luciano Nakata Albuquerque, est métis, d’origines hispano-japonaises*. Mais en matière de reconnaissance, rien ne vaut certainement celle de ses pairs musiciens, surtout si l’un d’eux est… Herbie Hancock lui-même. Il fut ainsi embauché pour l’accompagner à la batterie sur la version de « Tempo de Amor » qui figure sur l’album The Imagine Project, version où l’on retrouve CéU au chant et Rodrigo Campos** aux percussions et cavaquinho.

Un des disques de chevet de Curumin pendant l’enregistrement était, dit-il, Loop Digga, le Medicine Show #5 de Madlib. Arrocha est donc un album construit autour de batuques digitaux et de grosses basses : « le disque revient aux beats hip-hop, il est plutôt axé sur cette vague-là ». S’il est plus lourd, mais pesado, quelle claque ! « Afoxoque », le premier morceau, nous plonge d’emblée dans le son. Un afro-choc ! Après un titre dédié à la nature sauvage, « Selvage », on arrive sans faiblir au troisième morceau, le bien-nommé « Treme Terra » car, oui, avec ses basses affolantes, la terre en tremble.

On attendait beaucoup de la présence de Russo Passapusso, MC bahianais déjà croisé au sein de Baiana System. Il n’est présent que sur deux titres mais contamine de sa fièvre tout l’album. Il est là tout de suite, sur « Afoxoque », lâche son chant comme un cri, intense, met le feu. Barbu mystique (moins barré qu’un Gonjasufi et sa voix de vieillard) issu de l’univers des sound-systems, il donne sa couleur à cet Arrocha… L’autre morceau où intervient Russo Passapusso est une de ses compositions, une ballade : « Passarinho ». Un  temps fort (mais calme) de l’album. Curumin a vite été conquis par les qualités de Russo Passapusso. « Le premier qui m’ait parlé de lui, c’est BNegão (rappeur « historique » qui participait au précédent album de Curumin et dont nous reparlerons prochainement, ndla). Je l’ai rencontré à São Paulo à l’occasion d’un concert de Guizado auquel je participais, on a échangé quelques idées et il m’a fait écouter quelques unes de ses musiques. J’ai été très impressionné par la qualité de ses compositions. Il est MC mais il a aussi un côté plus traditionnel, un côté bien bahianais. Tu retrouves chez lui quelque chose de Gil, de Riachão, de Dorival Caymmi… Il est très intuitif. Il vient de cette tradition bahianaise où le type va apprendre à jouer de la guitare, à faire de la musiquen dans la rue, en regardant les autres jouer. C’est une tradition différente ».

Il y a une belle honnêteté chez Curumin quand il raconte comment il a intégré « Passarinho » à l’album. « On avait déjà terminé le disque mais il ne durait que 29 minutes. On s’est dit : ‘merde, le disque est trop court. Il faudrait au moins qu’il atteigne les 30 minutes sans faire de remplissage’. Alors on a mis « Passarinho » de Russo qui apporte une dimension au disque qu’il n’avait pas encore, que je n’arrivais pas à atteindre. Je trouve que l’album est très terrestre, bien lourd mais parce que je suis batteur, il lui manquait ce côté plus mélodique« .

On a presque l’impression que l’influence de Russo Passapusso s’est aussi nichée jusque dans le propre chant de Curumin, plus affirmé et incandescent. Quant à l’influence bahianaise, on la retrouve dans la reprise de « Vestido de Prata », composée par Paulinho Boca de Cantor (Novos Baianos). Mais qu’on ne s’y trompe pas, si Arrocha est également le nom d’une danse populaire bahianaise, il s’agit selon Curumin d’un disque spécifiquement inspiré par sa propre ville, São Paulo. Même s’il regrette de ne plus pouvoir s’y déplacer en vélo parce que c’est devenu trop dangereux en raison du trafic, il est un pur produit de São Paulo, il a baigné dans l’ambiance de la ville et ses cadences effrénées, même s’il ne rêve que de lever le pied et laisser venir l’inspiration musicale du fond de son hamac. D’ailleurs, il a choisi de faire un break pour accueillir la naissance de sa fille… Rien n’est plus important que la vie tout court.

CuruminTripC’est aussi pour échapper à la pression qu’il s’est installé à la maison pour enregistrer, entouré de Lucas Martins et Zé Nigro pour l’aider à la production, après avoir commencé en studio, pour prendre le temps d’expérimenter sans se dire devoir se ruiner : « le studio te met la pression parce que tu dois être rapide, tu es dans l’obligation de faire les choses et tu ne peux pas te permettre de te lancer dans l’expérimentation. Tu dois être très sûr de toi sinon tu perds beaucoup d’argent. Quand j’ai vu ce dont j’avais besoin pour le faire à la maison, j’ai emprunté le micro d’un ami, le pré-ampli d’un autre, les pédales d’un autre… Et là, c’était parfait, le disque est venu tout seul. Il y avait un climat agréable pour enregistrer en s’amusant. C’est comme ça que viennent les idées. (…) L’approche électronique vient aussi de ça, c’est lié au problème de ne pas avoir de fric, d’avoir besoin de faire les choses à un coût très bas tout en parvenant à un résultat qui sonne super bien. C’est quelque chose que je pouvais faire. Si tu dois enregistrer une batterie en studio, ça te demandera des heures. Avec le tout électronique, c’est beaucoup plus direct, on a besoin de moins d’équipement. C’est une solution plus économique et plus adaptée au CD. C’est très difficile de parvenir à un son satisfaisant rien qu’en jouant sur de vrais instruments. (…) Si tu n’as pas le meilleur matériel, ce n’est pas un problème, il faut juste distordre un peu le truc pour que ça sonne bien. Et ça ne te bride pas, ça ne fait que t’aider. C’est bien plus fertile que d’être dans un studio froid où l’équipement est si bon que tu ne peux pas accuser sa qualité et dire qu’il te faut un micro pourri pour brouiller le son. Je me suis senti super bien en faisant ce disque, on était à la maison, on pouvait s’arrêter quand on était fatigué. Le climat était plus amical. Et la mousse du micro était remplacée par un bout de slip alors quand tu dois chanter avec ce bout de slip dans la bouche, ça te retire la pression et tout le monde se marre ».

Outre la présence de Russo Passapusso, il faut signaler les participations de Guizado (trompette), Edy Trombone ou Marcelo Jeneci qui viennent étoffer les arrangements.

Alors, oui, à l’écoute, on sent bien que pour enregistrer Arrocha, Curumin n’avait pas la pression, qu’il s’est fait plaisir. C’est détendu, assez laidback, ça balance et c’est énorme. Un disque majeur de 2012. La musique que vous aurez envie de balancer à fond tout l’été. Et, en plus, avant de le voir prochainement distribué à l’international, il le propose en téléchargement gratuit.

Curumin, Arrocha (2012) (mp3 192 kbps)

01. « Afoxoque » (avec Russo Passapusso)
02. « Selvage »
03. « Treme Terra »
04. « Passarinho » (avec Russo Passapusso)
05. « Paris Vila Matilde »
06. « Tupãzinho Guerreiro »
07. « Vestido de Prata »
08. « Doce »
09. « Blinblin (Intro) »
10. « Blinblin »
11. « Sapo Garimpeiro »
12. « Accorda »
13. « Pra Nunca Mais »
14. « Bambora »

Toutes les citations de Curumin sont extraites de l’interview accordée à David Rocha pour la Revista Trip (24/4/2012).

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* São Paulo accueille la plus importante population d’origine japonaise au monde.
** Son album Bahia Fantastíca, vient de sortir, on l’attendait avec impatience et on en reparle très vite !!!

2 réflexions sur “Arrocha, ou l’afro-choc de Curumin

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