Juste retour des choses, Thiago França, omniprésent saxophoniste sur la plupart des disques qui ont compté ces derniers mois, lance son projet solo. A la tête de Sambanzo, il sort l’album Etiópia et l’offre en téléchargement gratuit. Comme avec Metá Metá, la spiritualité afro-brésilienne nourrit la création, « chaque concert est un rituel » dit Thiago França. Imaginez donc les montées hypnotiques de Metá Metá en version instrumentale et vous aurez une petite idée du projet.
Plus que jamais, le Brésil, et sa mégapole São Paulo tout particulièrement, est au diapason de tendances subtiles qui font vibrer la planète des musiciens férus de groove. Le Brésil découvre lui aussi la fièvre afrobeat et les langueurs de l’éthio-jazz alors qu’un vrai revival a vu naître des groupes d’exégètes aux quatre coins du globe. Mais là où partout ailleurs ces adeptes cultivent d’abord le mimétisme avec une virtuosité certaine, ce n’est pas ainsi qu’on appréhende les choses en ces terres d’anthropophagie culturelle. Etiópia de Sambanzo démontre une nouvelle fois la capacité de cette génération de musiciens brésiliens à assimiler les styles pour mieux les recréer.
Les musiciens qui marquent de leur son l’époque agissent parfois en bande. Très proches, ils se retrouvent au gré de formations diverses. Thiago França, Kiko Dinucci et Marcelo Cabral jouent ensemble dans des configurations à géométrie variable. A la manière de l’équipe Daptone, l’accent ne sera pas le même selon le contexte, selon que l’on est avec le Budos Band, les Dap-Kings ou le Menahan Street Band et où, chez Daptone, il revient au premier, le Budos Band, d’entretenir la flamme afrobeat et éthio-jazz en mode instrumental.
La bande à Thiago França, c’est un noyau dur constitué de Kiko Dinucci, Marcelo Cabral, Rodrigo Campos. Sur Etiópia, Kiko et Marcelo jouent tandis que Rodrigo produit. « Le son que je fais avec Criolo, MarginalS ou Metá Metá n’est possible que parce qu’entre les membres du groupe, nous partageons une intimité. Nous nous connaissons tous très bien et cela nous donne la liberté de créer et être sincère avec l’autre ».
Et si vous imaginez un instant que, parce qu’on retrouve une nouvelle fois les mêmes musiciens, ce sera pareil, erreur. Ce serait trop simple. Avec eux, tout change à chaque fois. Avec Sambanzo, le jeu même de Thiago França est profondément différent de celui qu’il développe avec Metá Metá. Là où il mettait du grain, un son intimiste tout en subtilité, il privilégie ici la simplicité et souffle les phrases du thème avec la clarté du débutant pour ensuite explorer et s’enflammer. « Techniquement, explique-t-il, on pourrait décrire ce travail ainsi : ce sont des compositions simples, des mélodies intuitives, rudimentaires, construites sur le schéma basique ‘appel-réponse’. Des harmonies avec deux accords, généralement tonique et dominante, voire même des musiques avec un seul accord, comme c’est le cas avec « Etiópia ». Et derrière tout ça, beaucoup de swing, beaucoup de venin. Des structures élastiques, avec de l’humour, pour faire une belle fête dansante ».
Kiko Dinucci aussi a changé son fusil d’épaule. Il délaisse le violão pour empoigner sa guitare électrique et balancer des riffs de rocker fou et s’éclater avec sa wah-wah. Mais toujours il est adepte de la boucle obsédante. Et si vous le l’avez pas remarqué, c’est lui qui a signé la pochette. Quant à Marcelo Cabral, il est lui aussi énorme. Pour planter un groove pareil, du genre qui va chercher le funk, la basse est essentielle. Et on ne peut oublier les furieux Samba Sam à la batterie et Wellington « Pimpa » aux percussions : s’il fallait trouver le chemin de la transe, ils vous y guideraient en dévots sherpas du rythme. Parce qu’Etiópia est avant tout un disque de danse spirituelle qui chauffe terrible !
Si l’album s’appelle Etiópia, l’éthio-jazz n’est qu’un des éléments de la musique de Sambanzo. Celle-ci passe allègrement de l’afro-cubain (« Risca-Faca ») à l’afrobeat mais surtout puise son inspiration première dans la transe des terreiros, dans la religiosité afro-brésilienne. « En dehors de mes compositions, j’ai inclus au répertoire du disque deux adaptations de pontos de umbanda qui donnent une idée de la spiritualité présente dans notre musique ». Cette spiritualité est placée sous le signe de Xangô, l’orixá qui a inspiré trois des titres de l’album.
Déjà auteur d’un premier album sous le nom de Sambanzo, Na Gafieira, en 2009, Thiago França recentre son propos sur les thèmes afros, en quête d’une « gafieira universal« . L’inspiration de sa musique est une Afrique « non-géographique« , comme Rodrigo Campos décrit sa Bahia, celle de Bahia Fantástica, un des albums les plus attendus de l’année. « C’est notre Africa Fantástica, l’Afrique où je n’ai jamais mis les pieds et que je ne connais que par le biais de YouTube et qu’on a idéalisé comme Mecque du swing », précise Thiago. D’ailleurs, le morceau le plus « éthio » de l’album est bien sûr « Etiópia ». Mais Thiago avait déjà posé son saxophone sur un morceau où se manifeste plus précisément l’influence éthiopienne, le « Forro do Homem Bomba », sur l’album de son ami Kiko Dinucci Na Boca dos Outros.
D’autres références pourraient être certainement être évoquées mais, pour son utilisation de pédales d’effets branchés sur le saxo de Thiago França et le tapis de percussions sur lequel il se pose, celle qui nous vient spontanément à l’esprit, c’est le travail de Jacques Schwartz-Bart sur ses deux premiers albums. « Brother Jacques » y revisitait le gwoka antillais et n’hésitait pas à brancher une wah wah sur son saxophone.
Sambanzo, c’est l’anti-Lucas Santtana. Plutôt que de vouloir être un génie du son, Thiago França choisit une esthétique lo-fi. Il procède comme il a longtemps été coutume de procéder pour produire un disque de jazz. En une journée, on enregistre tout un album. Là, on ne peut pas tricher. En l’occurrence, deux titres furent enregistrés dans la matinée, les autres dans l’après-midi après une bonne feijoada. « Le son de Sambanzo est très flexible, il n’y a ni arrangements, ni structures rigides, pratiquement tout peut arriver, chaque fois qu’on joue est unique. C’est pour ça qu’on a presque tout enregistré en une seule prise. On pourrait difficilement dire qu’une prise est meilleure, elles sont uniques. J’aime jouer ainsi. Tout le monde n’aime pas ça, ou n’y parvient pas, mais pour moi, c’est essentiel. Quand tu laisses libre un musicien, il joue de la façon la plus naturelle et inspirée possible« .
En attendant de découvrir ce « rituel » sur scène, puisque « cada show é um ritual« , l’album est proposé en téléchargement gratuit par son auteur.
Sambanzo, Etiópia (2012) (mp3 320 kbps)
1. O Sino da Igrejinha
2. Xangô
3. Tilanguero
4. Capadócia
5. Xangô da Capadócia
6. Etiópia
7. Risca-Faca
Décidément, j’accroche bcq plus sur Sambanzo que Lucas Santana.