Sans rien perdre de ses langueurs sensuelles, Céu semble s’être amusée à faire Caravana Sereia Bloom. Et si c’était ça la vraie nouveauté que nous offre son troisième album ? Car si, avec sa touche rétro-caribéenne assez décalée, cette belle réussite se distingue des précédentes œuvres proposées par Céu, elle s’inscrit tout autant dans leur continuité en étant immédiatement reconnaissable et ne devrait pas décevoir ses amateurs. Plus épanouie, Céu trace sa route, sans dévier, à la gypsy-chic, sans céder aux sirènes commerciales, à son allure… tranquille. L’allure tranquille d’une caravane chargée où toute la famille fait partie du voyage… Elle décrit même l’album comme un road disco, pensé lors des voyages incessants des artistes de scène.
Il y a quelques semaines, lorsque je présentais le clip « Retrovisor », morceau choisi pour annoncer Caravana Sereia Bloom, j’étais en train de rédiger la chronique de ce nouvel album pour Vibrations et je ne souhaitais pas en dévoiler ici le contenu, pour lui en laisser la primeur*. J’avais simplement révélé que ce « Retrovisor » n’était pas forcément représentatif de l’album. Aussi réussi et envoûtant soit-il, il est à la limite de la redite quand l’album est plus original. Si cet avant-goût plaçait Céu en terrain familier, Caravana Sereia Bloom poursuit les explorations musicales de l’égérie internationale de la jeune scène indé pauliste.
On a beau, en effet, se demander si ce nouvel album allait être en rupture ou dans la continuité des précédents, la première remarque qui s’impose serait de rappeler que Céu possède ce privilège d’être instantanément reconnaissable. Par sa voix bien sûr, mais aussi son style. Dès ses débuts, on comprenait pourquoi, outre son talent, elle séduisait le public international. Sa musique était, en même temps que brésilienne, compatible avec d’autres styles. Sa nonchalance down-tempo, par exemple, pouvait évoquer une version électropicale du trip-hop.
Depuis Vagarosa, on a cru déceler une évolution de la musique de Céu vers un son plus organique. C’est au moins la première impression qui nous vient quand on commence à écouter ce Caravana… Mais il ne faut pas s’y fier : le talent d’orfèvre ès-samples de Gui Amabis, son producteur de mari, est tel que le bougre est bien capable de nous faire prendre des boucles pour des musiciens. Ainsi, même en allant chercher des sons vintage voire rétros, elle demeure résolument contemporaine.
Tandis que, d’emblée, sur « Falta de Ar », le premier titre, on est plongé dans un bain de rock tropicaliste où on croirait retrouver la guitare acide du mythique Lanny (Gordin), on retrouve aussi ces morceaux alanguis qui ont fait le charme de Céu. Ainsi cette version de « Palhaço », enregistrée avec Edgard Poças, son père, où Céu nous prouve qu’avec elle, même cette samba écorchée à en fendre l’âme de Nelson Cavaquinho, devient douceur ! Dans ce registre, on appréciera également « Street Bloom », composé sur mesure par Lucas Santtana, ou « Chegar em Mim » qui clôt l’album..
Mais ce qui frappe, ce sont les morceaux bien balancés. Ici et là, on retrouve aussi la vibe reggae qui depuis ses débuts sous-tend fréquemment les morceaux de Céu. Et, là encore, cela donne quelques unes des réussites de l’album : « Asfalto e Sal » ou « You Won’t Regret It », reprise à la source de Lloyd Robinson et Glen Brown.
Cette veine enlevée donne, à mon sens, son meilleur morceau à l’album avec « Contravento » et son irrésistible cadence marquée par des chants de cigales mis en boucles (à ceci près que les cigales ne « chantent » pas, elles cymbalisent), à moins que ça ne soit le frottement d’un sac plastique. Co-écrit avec Lucas Santtana, celui-ci illustre combien l’afrobeat fait actuellement des ravages chez les jeunes musiciens brésiliens. Et, dans le cas de Céu, ce « Contravento », mais aussi « You Won’t Regret It » et les autres titres presque « dansants » (dont « Baile de Ilusão »), amènent une délicieuse légèreté à sa musique. Comme si elle s’amusait et avait délaissé ses poses langoureuses pour un sourire chaleureux. Ce sera parfait pour se bouger avec nonchalance dans la chaleur de l’été.
Ne comptez pas sur moi pour m’adonner à la psychologie sauvage et interpréter cette humeur détendue comme la traduction de l’épanouissement qu’offrirait la maternité aux jeunes femmes. Je laisse à d’autres ce genre de croyance simplificatrice. Je leur cède même la notion d’instinct maternel en prime, autre vaste foutaise. On se bornera à signaler que le Sereia du titre de l’album, Sirène en français, est le prénom de sa fille. Et qu’elle lui a dédié un petit intermède qui renvoie à une fameuse incantation à Iemanjá, orixa de la mer, la sirène du panthéon yorubá. Et c’est d’ailleurs Céu elle-même qui a réalisé sur Garage Band ces vignettes qui viennent aérer l’album, notamment l’envoutant « Teju na Estrada ».
S’il sera question de l’implication de Céu dans le son et la production dans l’interview qu’elle a accordé à Lucas Santtana et dont vous trouverez très prochainement la traduction, Caravana Sereia Bloom est aussi l’occasion de s’entourer de musiciens qui « font » le son de la musique brésilienne d’aujourd’hui et où l’on retrouve les omniprésents Pupilo et Dengue de Nação Zumbi, mais aussi Catatau, Curumin, Thiago França ou Bruno Buarque. Sans oublier les copines pour faire les chœurs, les Negresko Sisters, à savoir Anelis, Thalma de Freitas et Céu elle-même…
Si Céu est la seule de ses consœurs à connaître un succès international, São Paulo est le foyer d’une telle effervescence artistique qu’il fallait faire preuve d’une sacrée inspiration pour continuer à incarner avec grâce pareille richesse musicale. Mais l’émulation a du bon, si le monde ignore encore le talent d’Anelis Assumpção ou Iara Rennó, leur talent est un bon aiguillon pour obliger Céu à avancer. Et confirmer qu’elle est une artiste majeure de sa génération.
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* Elle devrait sortir cette semaine avec le n°142 et ne fait que 500 signes…