Disques/Rio

L’Elégance du samba : Universo Ao Meu Redor de Marisa Monte

En 2006, Marisa Monte sortit deux albums simultanément, comme les deux faces d’un diptyque. Sur l’un deux, Universo Ao Meu Redor, elle poursuivait son travail de relecture du samba. Même si elle n’est pas une sambista, c’est là un pan essentiel de son œuvre et de son ambition, participer à la conservation de ce patrimoine, maintenir vive cette mémoire collective. Voici donc un disque de samba qui n’est pas fait pour danser. D’ailleurs, ça n’en est pas vraiment un : Marisa Monte est la Diva de la MPB.

Dès ses débuts, il y a vingt ans, elle s’imposa comme l’artiste qui redonna ses lettres de noblesse à cette MPB devenue trop conventionnelle, en panne d’inspiration. D’ailleurs, au Brésil, Marisa Monte est considérée comme la plus grande chanteuse de sa génération. Et même plus : cela ne souffre aucune contestation. Elle a été maintes fois imitée, jamais égalée. Dès ses débuts, en 1989, elle s’impose comme une évidence avec un album de reprises. Il n’est qu’à voir le casting de « fées » qui entourent le suivant, Mais, en 1991, pour constater que la reconnaissance de ses pairs fut instantanée. Rien moins que le gratin d’une certaine avant-garde new-yorkaise, dirigée par Arto Lindsay, participent à son enregistrement : Marc Ribot, John Zorn, Ryuichi Sakamoto, Bernie Worrell !

Chaque étape de sa carrière sera longuement mûrie. Marisa Monte impose la patience à ses admirateurs : seulement huit albums en plus de vingt ans. Aussi, cela fut une surprise de la voir, en 2006, sortir deux albums simultanément : Infinito Particular et Universo Ao Meu Redor.

Deux albums qu’elle juge complémentaires, le premier s’inscrivant dans sa veine pop-MPB, l’autre consacré au samba. Et pourtant, chez moi, l’un aura complètement éclipsé l’autre. Je les avais pourtant commandés en même temps sur Amazon, avant même leur date de sortie annoncée, mais voilà, Universo Ao Meu Redor ne quitta pas ma platine, laissant Infinito Particular dans l’ombre. Ce qui aujourd’hui est presque une bonne nouvelle : sans projet inédit de la belle à l’horizon, celui-ci reste une œuvre à redécouvrir (presque) comme s’il s’agissait d’une nouveauté.
Si Universo Ao Meu Redor est incontestable si haut dans mes albums préférés de ce début de Millénaire, on pourrait invoquer qu’une raison objective, quoique superficielle, l’y place. En effet, depuis que l’écoute devient une donnée quantifiable (!) avec le compteur d’iTunes, je constate que quatre titres d’Universo… y figurent parmi les vingt plus écoutés.
Plus sérieusement, Universo… s’impose à la fois parce que j’adore le samba et que je suis avec curiosité toutes les évolutions de la carrière de Marisa Monte, enthousiaste de chacune de ses réalisations, depuis l’époque de Verde Anil Amarelo Cor de Rosa e Carvão, en 1994, quand je la découvrais. C’est un véritable parcours sans faute que réalise Marisa, une carrière qui se trace sur l’étroite ligne de crête de l’excellence : tant dans ses albums personnels que dans son travail de production, pour Carlinhos Brown ou la Velha Guarda da Portela, chaque projet est une œuvre forte, marquante, éclairant les différentes facettes de sa personnalité.

J’ai eu la chance de la rencontrer, il y a une dizaine d’années, pour réaliser un entretien alors qu’elle était à la veille de se produire sur la scène du Grand Rex, à Paris. J’ai le souvenir d’une grande fille, très grande, professionnelle et disponible, qui expliqua sa démarche avec clarté, de son débit très rapide, et devint soudain beaucoup plus chaleureuse dès que l’entretien fut dans la boîte. En off, dès que l’on en vint à parler de cuisine, elle devint plus expansive. Je lui confiais mon goût pour les plats typiques que j’avais goûté en même temps que je découvrais Bahia, en particulier le bobo de camarão dont j’avais, dès mon retour, cherché la recette. Et je me souviendrais toujours de son conseil, tout simple : ne jamais oublier le dendê ! Loin de moi cette intention mais, désormais, à chaque fois que je cuisine un plat de poisson, ou un bobo, et que je commence à faire revenir mon poivron dans l’huile de palme orangée, ce dendê qui donne son goût si caractéristique à la cuisine bahianaise, j’ai une petite pensée pour Marisa Monte.

En deux mots, on pourrait dire qu’il s’agit de concilier la « ligne claire » de la pop aux racines samba. Sur Universo…, elle concilie ces deux aspects à merveille. Marisa Monte, c’est d’abord une voix. Une voix si claire, qui ne force jamais le trait, d’une élégance absolue. Sur ce projet, elle poursuit son entreprise de conservation d’une culture en voie de disparition. Depuis sa collaboration avec la Vieille Garde de l’école de samba de Portela, elle s’est livrée à un véritable travail de collectage et s’attache à laisser trace de ce répertoire de sambas jamais enregistrés jusqu’alors. De même ici, sur cet album, tous les titres sont inédits, même s’ils datent des années quarante ou cinquante.
Au milieu de ces chansons signées de vieux sambistes et sauvées de l’oubli, on retrouve des compositions récentes, comme le « Para mais ninguém » que lui offre Paulinho da Viola, ou le magnifique « Vai saber ? », signé de la plume de sa contemporaine Adriana Calcanhotto.
Et, bien sûr, l’inspiration jamais tarie de cette triplette magique qu’elle forme avec Arnaldo Antunes et Carlinhos Brown fournit encore une fois quasiment la moitié des compositions de l’album, des titres qui ne se distinguent pas dans le traitement de ceux écrits il y a plusieurs décennies par Jayme Silva (« Meu Canário », 1950), Casemiro Vieira (« Perdoa, meu Amor », 1944), Argemiro Patrocinio (« Lágrimas E Tormentos », 1980) ou Dona Ivone Lara (« Pétalas Esquecidas, 1945).
Marisa Monte décrit cet album non pas comme un disque de samba mais plutôt comme un disque inspiré de l’atmosphère du samba, des thèmes qui lui sont chers : « l’amour, la nature, la musique elle-même, la condition humaine, les chants des oiseaux, l’arrière-cour, la convivialité par l’art« . Ainsi, ce qui pourrait sembler simple chansonnette est, en fait, porté par une émotion à la portée universelle, comme avec cette histoire de canari qui pour accompagner la peine d’amour de son propriétaire ne chante plus « piu-piu » mais « ui-ui, ai-ai« .

Tout au long de cet Universo Ao Meu Redor, Marisa Monte restitue à merveille ce miracle du samba : rendre la tristesse réconfortante.

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